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est mon dé ; où est ma petite cuiller ?… Je vais tout arranger selon les règles de l’art, mon chéri, »

Elle commence son opération et souffle sur la petite étincelle enfermée dans le creux de sa main ; elle parle de temps en temps, d’un air satisfait, sans discontinuer son travail.

Quand c’est lui qui parle, il le fait sans la regarder, comme si ses pensées voyageaient dans les nuages.

« Je vous ai préparé plus d’une bonne pipe entre la première et la dernière fois que vous êtes venu ; n’est-ce pas, mon chou ?

— Un assez bon nombre.

— La première fois, c’était tout nouveau, oh ! tout nouveau !

— Et j’ai été bien vite hors de combat.

— Mais vous avez fait votre petit chemin dans le monde, et vous êtes devenu capable de tenir tête aux meilleurs fumeurs.

— Ou aux plus mauvais.

— Voilà votre pipe prête. Quel joli chanteur dans les premiers temps ! Vous battiez la mesure avec votre tête, vous gazouilliez comme un oiseau. Votre pipe est prête, mon chéri. »

Il la lui prend des mains avec le plus grand soin et introduit le tuyau entre ses lèvres.

Elle s’assied à côté de lui, se tenant prête à rebourrer le terrible fourneau.

Après avoir aspiré quelques bouffées en silence, il lui dit d’un air de doute :

« Est-ce que le mélange est aussi fort que de coutume ?

— De quoi parlez-vous ? mon chéri… Quel mélange ?

— De quoi puis-je parier, si ce n’est de la pipe que j’ai dans la bouche ?

— C’est toujours la même chose ; toujours, mon chéri.

— C’est étrange. Au goût, cela me paraît plus faible.

— Parce que vous êtes endurci à l’opium, voyez-vous.

— Probablement. Écoutez. »

Il s’arrête, devient rêveur, et semble oublier qu’il a fait appel à l’attention de la vieille.