Mais, dès qu’elle commence à se servir de ses yeux, et qu’elle peut parler, elle s’écrie :
« Est-ce bien vous ?
— Êtes-vous si surprise de me voir ?
— Je pensais que je ne vous reverrais jamais, mon chéri ; je croyais que vous étiez mort et parti pour les régions de là-haut.
— Pourquoi ?
— Je ne supposais pas que vous pussiez être vivant et rester si longtemps sans venir voir la pauvre vieille âme qui possède le véritable secret du mélange. Et vous êtes en deuil ! Comment n’êtes-vous pas venu fumer une pipe ou deux pour chercher une consolation ! Peut-être les morts ont-ils laissés de l’argent et n’avez-vous pas alors besoin de consolation.
— Non ; ils ne m’ont pas laissé d’argent.
— Qui avez-vous perdu, mon chéri ?
— Un parent.
— De quoi est-il mort, cher bien-aimé ?
— Probablement de sa belle mort.
— Vous êtes bien avare de vos paroles, ce soir, s’écrie la vieille femme en riant d’un air conciliant ; vous êtes bref et dur au pauvre monde. Tenez ! ce qui nous met hors de nous, c’est le besoin de fumer. Nous avons eu toute sorte de soucis, n’est-ce pas, mon chéri ? C’est ici le lieu où l’on s’en délivre… C’est ici le lieu où ils s’en vont en fumée.
— Vous pouvez tout préparer, » réplique le visiteur.
Il quitte ses souliers, desserre sa cravate et place ses pieds en travers du lit sordide, sa tête appuyée sur sa main gauche.
« Maintenant vous voilà redevenu vous-même, dit la vieille d’un air approbateur. Je commence à reconnaître mon ancienne pratique. Vous aurez peut-être essayé de faire le mélange vous-même pendant ce long espace de temps, mon chéri ?
— J’ai fumé de temps en temps, en préparant ma pipe à ma manière.
— Ne le faites jamais ! Cela ne vaut rien pour le commerce et rien pour vous. Où est ma bouteille d’encre ; où