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Jusqu’à présent, vous le comprenez, personne n’a jamais eu l’idée de me dédier une pièce de théâtre… à moi. »

Rosa lui jeta un regard qui semblait exprimer combien elle eût aimé à le voir l’objet de mille de ces dédicaces.

« Et je ne sais pas pourquoi M. Bazzard est irrité qu’on ne me dédie rien. Il est très sec avec moi, parfois ; alors je comprends qu’il se dit tout bas : Cet imbécile est mon maître ! Un être qui ne pourrait pas écrire une tragédie, quand il s’agirait pour lui de sauver sa tête ; un être qui n’a jamais reçu la dédicace d’un seul ouvrage, avec les plus flatteuses félicitations sur la haute position qu’il ne manquera point de conquérir aux yeux de la postérité ! C’est agaçant, très-agaçant, très-agaçant ! Aussi, quand j’ai des ordres à lui donner, j’y réfléchis préalablement. Je me dis : Peut-être la chose ne sera-t-elle pas de son goût ; il peut mal la prendre. Grâce à ces précautions, nous nous entendons très-bien, beaucoup mieux même que je ne l’aurais espéré.

— Et le nom de sa tragédie, monsieur ? demanda Rosa.

— Tout à fait entre nous, répondit M. Grewgious, il a choisi un titre effroyablement bien approprié : l’Épine d’anxiété. M. Bazzard espère, et je l’espère aussi, qu’elle arrivera enfin à être représentée. »

Il n’était pas difficile de deviner que M. Grewgious était entré dans tous ces détails sur l’histoire de M. Bazzard, au moins autant pour occuper l’esprit de sa pupille et la distraire du sujet qui l’avait amenée chez lui, que pour satisfaire sa tendance naturelle à se montrer sociable et communicatif.

« Et maintenant, ma chère, reprit-il, si vous n’êtes pas trop fatiguée pour me mettre un peu plus au courant de ce qui s’est passé aujourd’hui, je serais heureux de vous entendre. Je digérerai mieux ce que vous m’aurez dit si je dors dessus cette nuit. »

Rosa, devenue plus calme, lui rendit un compte fidèle de son entrevue avec Jasper.

Il arriva souvent à M. Grewgious de s’appuyer la tête pendant le cours de son récit, et il la pria de lui répéter une seconde fois les parties qui avaient trait à Helena et à Neville.