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Rosa semblait réfléchir à ce qu’elle ferait elle-même, si elle se trouvait dans la même situation.

« En conséquence, dit M. Grewgious, M. Bazzard aurait le sentiment de mon infériorité par rapport à lui, que ce ne serait pas étonnant. Pourtant, vous comprenez… comme c’est moi qui suis son maître, le cas s’aggrave singulièrement. »

M. Grewgious secoua la tête d’un air sérieux, comme s’il sentait profondément ce qu’il venait de dire.

« Comment êtes-vous devenu son maître, monsieur ? demanda Rosa.

— C’est une question qui devait venir naturellement, fit M. Grewgious ; causons. Le père de M. Bazzard, un fermier du comté de Norfolk, aurait chassé son fils à coups de fléau, de fourche, ou de tout autre instrument aratoire pouvant servir d’arme offensive, s’il eût eu seulement le moindre soupçon qu’il avait écrit une pièce de théâtre… Le fils, en m’apportant un jour les loyers du père, loyers que je suis chargé de recevoir, me fit part de son secret et me déclara qu’il était déterminé à donner carrière à son génie, ce qui le mettrait en péril de mourir de faim. Or, avait-il été créé pour mourir de faim ? Il ne le pensait pas.

— Pour donner carrière à son génie, monsieur ?…

— Oui, ma chère, dit M. Grewgious, mais pas pour mourir de faim. Il était impossible de contester cette dernière proposition ; M. Bazzard me donna à entendre que je pouvais intervenir entre lui et une destinée si opposée au but de sa création. C’est de cette façon que M. Bazzard devint mon clerc et il en a gardé un sentiment très-profond…

— Je suis heureuse qu’il vous soit reconnaissant, monsieur.

— Ce n’est pas tout à fait cela que j’ai voulu dire, ma chère. Je veux dire qu’il a gardé le sentiment profond de sa dégradation. Il y a d’autres génies avec lesquels M. Bazzard a noué des relations qui ont également écrit des tragédies et qui n’ont trouvé que lui pour en écouter la lecture ou les faire représenter. Ces esprits d’élite se dédient leurs pièces les uns aux autres dans les termes les plus flatteurs. M. Bazzard a été l’objet d’une de ces dédicaces.