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mois qu’il venait de consacrer à la recherche de la vengeance.

Aurait-il fait cette déclaration et avec cette violence, si ce n’était qu’une pure allégation mensongère ?

Il lui avait dit encore :

« Je vous sacrifie ma fidélité. Mon cher enfant, après sa mort… »

Certes, tout cela s’élevait avec une grande force contre l’abominable supposition que Rosa osait à peine formuler tout bas.

Et, pourtant, c’était un homme si terrible…

En somme, la pauvre fille (car quelle connaissance pouvait-elle avoir d’une nature criminelle, quand ceux qui en font leur constante étude se trompent sans cesse, parce qu’ils essayent de la juger sur les faits communs de l’intelligence humaine, au lieu de la considérer comme une horrible et monstrueuse exception), la pauvre fille, disons-nous, ne pouvait arriver à d’autre conclusion que celle-ci :

« Jasper est un homme terrible, et je dois le fuir. »

Elle avait été longtemps l’appui et la consolation d’Helena ; elle l’avait constamment assurée de sa foi entière en l’innocence de son frère et de sa sympathie pour Neville dans son malheur.

Mais elle n’avait pas vu Neville depuis la disparition d’Edwin Drood, et jamais Héléna ne lui avait dit un mot des aveux du jeune homme à M. Crisparkle.

C’était pour elle le frère infortuné d’Héléna et rien de plus.

La déclaration qu’elle avait faite à son odieux adorateur était donc rigoureusement vraie, et il eût mieux valu, elle se le disait à présent, qu’elle se fût abstenue de la faire.

La peur qu’avait de lui cette charmante et délicate créature, faisait un monstre à ses yeux de tout ce qui venait de Jasper ; son esprit se révoltait à la pensée de tenir de la bouche du chantre la révélation de l’amour de Neville.

Mais où devait-elle aller ?

N’importe où, pourvu qu’elle fût à l’abri de ses poursuites.