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les, effacez tout le passé, tout le présent de ma vie inutilement perdus. Faites-vous un jeu de mon cœur et de mon âme, de mon repos, de mon désespoir même. Foulez tout cela dans la poussière, pourvu que vous soyez à moi, dussiez-vous me vouer en même temps une haine mortelle, »

L’effrayante véhémence de cet homme porta tellement la terreur de Rosa à son comble, que le charme magique qui la retenait en fut rompu.

Elle se dirigea vivement vers le porche, mais Jasper la suivit ; il était à ses côtés, lui parlant à l’oreille.

« Rosa, je suis encore maître de moi. Voyez ! je marche tranquillement auprès de vous. J’attendrai quelque encouragement et quelque espoir. Je ne me presserai pas trop de frapper… Faites un signe qui m’indique que vous m’écoutez attentivement. »

Obéissant encore à la contrainte, elle fit un léger mouvement de la main.

« Pas un mot de tout ceci, à qui que ce soit, ou vous provoquerez le coup que je veux porter, aussi certainement que la nuit succède au jour. Faites encore un signe qui prouve que vous m’écoutez. »

Une seconde fois la main de Rosa se leva.

« Je vous aime !… Je vous aime !… Vous pouvez me repousser. Jamais vous ne serez délivrée de moi… Jamais personne ne sera assez fort pour se placer entre nous. Je vous poursuivrai jusqu’à la mort !… »

La servante s’avançant pour lui ouvrir la porte, il salua d’un air tranquille et s’éloigna sans trahir plus d’émotion que l’effigie du père de M. Sapsea surmontant la porte du commissaire-priseur de l’autre côté de la rue.

Rosa s’évanouit en montant l’escalier.

On s’empressa de la porter dans sa chambre et de la déposer sur son lit.

« C’est l’orage, disaient les servantes, la chaleur l’a écrasée, la chère enfant. Cela n’est pas étonnant. »

Toute la journée, les servantes avaient elles-mêmes senti trembler leurs genoux.