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à votre tour, vous le voyez, et ce n’est pas bien à vous, alors que vous me défendez toute question. Cependant je vous répondrai tout à l’heure, chère Rosa !… charmante Rosa !… »

De nouveau elle se leva.

Cette fois il ne la toucha point ; mais le visage de Jasper avait une expression si méchante et si menaçante, tandis que toujours appuyé sur le cadran solaire, le chantre recevait en plein la lumière du jour, que la terreur s’empara d’elle.

« Je n’oublie pas les fenêtres qui nous regardent, dit-il avec un affreux sourire. Je ne vous toucherai point, je ne ferai point un seul pas vers vous. Asseyez-vous donc. Personne ne s’étonnera de voir votre maître de musique causer avec vous. Il est arrivé tant de choses qui nous intéressent et nous affligent en commun tous les deux. Asseyez-vous, ma bien-aimée. »

Elle aurait encore voulu fuir, elle fit encore un mouvement ; mais encore une fois ce visage sombre et menaçant qui allait la suivre, l’arrêta, et glacée par l’épouvante, elle reprit sa place.

« Rosa, même au temps où mon cher enfant vous était fiancé, je vous aimais follement, dit-il. Même alors quand je pensais que vous seriez sa femme, que son bonheur était certain, je vous aimais follement ; je m’efforçais de lui inspirer pour vous une adoration ardente et je vous aimais. Rappelez-vous cette peinture de votre joli visage qu’il me donna… Je la tenais sans cesse devant mes yeux et je lui disais que c’était par amitié pour lui. Je l’ai adorée pendant des années, cette peinture charmante, et j’étais en proie à mille tortures. Parmi mes odieux travaux du jour, durant mes nuits sans sommeil, enfermé dans la réalité sordide ou m’égarant dans les visions du paradis ou de l’enfer, je la voyais toujours, cette image, je la serrais souvent dans mes bras, je vous aimais… je vous aimais… »

Si quelque chose pouvait rendre ces paroles plus hideuses à Rosa, c’était le contraste entre les flammes du regard de Jasper, entre l’énergie avec laquelle il s’exprimait, et le calme affecté de son attitude.