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— Sur ma vie, Jack, non ; je ne le pensais pas. Ainsi même dans la maison de Pussy…, si elle en avait une… il y aurait donc un de ces fantômes ? Ah !… ah !… ah !…

— Vous me disiez tout à l’heure quelle existence tranquille est la mienne. Pas de bruit, pas de fracas, aucun des soucis inquiétants qu’amènent le commerce ou les affaires, pas de risques, pas de changements de lieux ni de voyages. Je vous parais devoir être tout à mon art et à mes plaisirs.

— En parlant de vous-même, Jack, dit Neb, vous laissez de côté bien des points que j’aurais fait ressortir. Par exemple : j’aurais mis au premier plan votre position respectée comme premier chantre laïque de cette cathédrale, votre réputation d’avoir fait des merveilles avec le chœur des chantres que vous dirigez, le droit que vous avez de choisir votre société, de garder une indépendance complète dans cette vieille résidence bizarre. J’aurais encore parlé de votre don admirable pour l’enseignement. Pussy, elle-même, qui n’aime pas qu’on l’instruise, dit qu’elle n’a jamais eu de maître comme vous. Et puis, il y a aussi vos relations…

— Je vois où vous voulez en venir, mais je hais tout cela.

— Vous haïssez tout cela, Jack ? dit Edwin étonné.

— La monotonie de mon existence me ronge et me brise. Comment trouvez-vous nos offices ?

— Très-beaux… tout à fait célestes.

— Ils me paraissent diaboliques. J’en suis las. Les échos de ma propre voix répétés par les vieux arceaux semblent me railler du ridicule labeur que j’accomplis chaque jour. Aucun des malheureux moines qui ont usé leur vie avant moi dans ce sombre édifice ne peut en avoir été plus fatigué que je ne le suis. Ils pouvaient encore trouver un délassement, et c’est ce qui leur arrivait, à sculpter des démons dans le bois de leurs stalles et de leurs pupitres. Que puis-je faire, moi ? Dois-je sculpter ces démons dans mon cœur ?

— Et moi qui pensais que vous aviez si bien trouvé votre repos dans la vie, Jack, reprit Edwin Drood étonné. »