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— Tut… tut… tut… répéta Ned. Cela ne vous fait rien à vous, Jack ; vous pouvez bien prendre tranquillement mon impatience. Votre existence à vous n’est pas toute tracée à l’avance…, comme un plan dressé par un architecte. Vous n’avez pas le désagrément, de savoir que votre choix est forcé, que vous êtes contraint de prendre cette femme et non une autre, et que vous lui êtes imposé à votre tour. La vie pour vous, Jack, c’est une prune avec son duvet velouté ; une main trop soigneuse ne s’est pas complue à l’en dépouiller…, sous prétexte de vous épargner de la peine…

— Pourquoi vous arrêtez-vous, mon cher enfant ?… Continuez.

— Aurais-je dit quelque chose qui vous blessât, Jack ? Comment pourriez-vous me blesser ?

— Grand Dieu ! Jack, vous semblez affreusement indisposé. Il y a un voile sur vos yeux. »

M. Jasper, avec un pâle sourire, fit un signe de la main pour calmer les appréhensions du jeune homme : pendant ce temps, il se remettait.

Après un moment de silence, il dit d’une voix affaiblie :

« J’ai pris de l’opium pour apaiser une angoisse extraordinaire qui m’accable souvent. Les effets de ce médicament opèrent sur moi ; c’est comme un nuage qui m’enveloppe ; mais vous voyez, le voilà qui passe ; ne me regardez pas, cela se dissipera plus vite. »

Malgré une expression d’inquiétude peinte sur son visage, le jeune homme obéit et fixa son regard sur le foyer.

Jasper serrait les bras du fauteuil sur lequel il était assis, puis de grosses gouttes de sueur coulaient sur son front, et il respira bruyamment.

Cette fois son neveu courut à lui et lui prodigua des soins attentifs.

Jasper enfin revint à lui.

Il posa amicalement la main sur l’épaule de son neveu et lui dit avec un accent railleur.

« On prétend qu’il y a un revenant caché dans chaque maison, mais vous ne saviez pas qu’il y en eût un dans la mienne, cher Ned ?