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si profondément souffert vous-même ; nul doute que sa vie n’ait été assombrie par le nuage qui a obscurci la vôtre ; mais elle a forcé son orgueil à demeurer calme. Elle est soutenue par sa confiance en vous et dans la vérité ; elle passe son chemin la tête haute, et on commence à la tenir en aussi haute estime que personne. Chaque jour, à chaque heure de sa vie, depuis la disparition d’Edwin Drood, elle a affronté la malignité et la sottise déchaînées contre vous, comme pouvait seule le faire une nature courageuse et bien dirigée. Et c’est ainsi qu’elle se conduira jusqu’au bout. Une autre sorte d’orgueil plus faible et moins vaillant aurait pu succomber à la douleur, mais votre sœur sait éviter de se laisser dominer et de fléchir. »

Les joues pâles du jeune homme se colorèrent.

« Je ferai tout pour imiter Hélène, dit-il.

— Faites-le, et vous, qui êtes un homme, montrez-vous aussi brave qu’une femme, répondit énergiquement M. Crisparkle, il se fait tard. Voulez-vous venir m’accompagner, quand la nuit sera tout à fait sombre ? Notez bien que ce n’est pas moi qui désire attendre l’obscurité. »

Neville répliqua qu’il était prêt à l’accompagner à l’instant.

Mais M. Crisparkle se rappela qu’il avait une visite d’un moment à faire à M. Grewgious, auquel il devait une politesse ; il promit de ne faire qu’entrer chez l’homme de loi et de rejoindre Neville au pied de la maison.

M. Grewgious, aussi empesé que d’habitude, était assis buvant son vin dans l’obscurité près de sa fenêtre ouverte.

Le verre et le flacon étaient à sa portée ; il avait les jambes allongées sur le rebord de la fenêtre ; tout son corps avait la rigidité d’un tire-bottes.

« Comment allez-vous, révérend monsieur ? dit M. Grewgious qui offrit au Chanoine de se rafraîchir, offre déclinée aussi cordialement qu’elle avait été faite ; et comment se trouve votre élève dans le logis que j’ai eu le plaisir de vous recommander, comme étant vacant par bonheur et tout à fait convenable ? »

M. Crisparkle fit à ces questions les réponses qu’elles comportaient.

« Je suis bien aise que ce logement vous ait agréé, dit