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— Si elle le voulait ?… C’est très-bien, mais elle ne le veut pas. »

On entendit un crac du côté de M. Jasper.

« Quelle mine a-t-elle à présent, Jack ? »

Sans détourner ses yeux du visage de son neveu, M. Jasper trouva le moyen de jeter à la dérobée un regard au portrait.

« Celle que reproduit si bien votre esquisse, dit-il.

— J’en suis assez fier, fit le jeune homme, en contemplant l’esquisse avec complaisance. Ce n’est pas mal touché pour avoir été fait de mémoire. Quant à l’expression, je la connaissais, j’ai vu Pussy assez souvent. »

Il y eut un nouveau : crac ! du côté d’Edwin Drood.

Crac ! du côté de M. Jasper.

« En réalité, reprit le jeune homme après un moment de silence, et tout en épluchant ses noix d’un air de dépit, je retrouve cette expression chaque fois que je vais voir Pussy. Si son visage ne l’a pas à mon arrivée, je l’y laisse quand je la quitte. Vous le savez bien, Mlle la dédaigneuse. Fi ! »

Il faut placer ici trois crac presque étouffés du côté de M. Jasper.

Un seul crac, mais furieux, du côté d’Edwin Drood.

Et puis un silence.

« Avez-vous perdu votre langue, Jack ?

— Avez-vous retrouvé la vôtre, Ned ?

— Est-ce que vous ne savez pas que je dis vrai ? »

M. Jasper relève son noir sourcil d’un air un peu étonné. « Tenez, Jack, reprit Ned, on voudrait avoir la liberté du choix en pareille matière. Moi, je vous le dis. Si j’avais à choisir, je choisirais Pussy entre toutes les jolies filles de ce monde.

— Mais vous n’avez pas cet embarras.

— C’est ce dont je me plains. Mon père et le père de Pussy avaient-ils besoin de nous fiancer ensemble quand nous étions tous les deux à la mamelle ? Que diable ! je ne crains pas de manquer de respect à leur mémoire en disant que c’est attenter à l’indépendance du cœur.

— Tut… tut…, mon cher enfant ! fit M. Jasper d’un ton amical qui devait calmer le jeune homme.