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— Parce que vous vous sentez mieux ?… »

Le visage de M. Crisparkle se rasséréna visiblement, tandis que le Chanoine prononçait ces derniers mots.

« Vous me devinez. Je sens que je n’étais plus moi-même, j’étais devenu triste et bilieux, j’avais le cerveau embarrassé. Vous m’avez dit que je donnais dans l’exagération. C’était bien vrai. »

Le visage de M. Crisparkle se rassérénait de plus en plus.

« Je pouvais bien ne pas m’en apercevoir alors, parce que je n’étais pas dans mon état naturel ; mais maintenant ma santé est bien meilleure, et je reconnais avec un vrai plaisir que j’ai fait une grande affaire de très-peu de chose.

— Cela me fait du bien, s’écria M. Crisparkle, de vous entendre parler ainsi.

— Un homme qui mène une existence monotone, continua Jasper, et dont les nerfs et l’estomac ne sont pas dans un état normal, s’appesantit sur une idée jusqu’à en perdre les justes proportions. C’était mon cas à l’égard de l’idée dont il s’agit. Aussi je brûlerai les preuves de ma folie quand le livre en sera plein, et je commencerai un nouveau volume avec un jugement bien plus net.

— À la bonne heure ! dit M. Crisparkle en s’arrêtant devant sa porte pour serrer la main de Jasper, cela finit mieux que je ne l’aurais espéré.

— Bon, répliqua Jasper, vous ne pouviez guère espérer que je tâcherais de me rendre semblable à vous. Vous vous appliquez toujours à vous tenir l’esprit et le corps purs comme le cristal ; c’est votre état habituel et vous n’en changerez jamais. Moi, je suis une mauvaise herbe, fangeuse, solitaire, et languissante. Pourtant j’ai triomphé de cette torpeur… M. Neville ne doit pas encore avoir quitté votre demeure pour se rendre à la mienne. S’il n’est pas parti, nous ferons la route ensemble.

— Je pense, dit M. Crisparkle en introduisant la clef dans la serrure, qu’il est sorti depuis quelque temps, tout au moins je sais qu’il a quitté la maison et je ne pense pas qu’il soit de retour. Mais je vais m’en informer. Ne voulez-vous pas entrer ?