Page:Dickens - Le Mystère d'Edwin Drood, 1880.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adresser de douces paroles aux enfants et aux vieillards qu’il avait rencontrés ; il se pencha vers cette femme.

« Êtes-vous malade ? lui demanda-t-il.

— Non, mon bon monsieur, répondit-elle sans le regarder et sans rien changer à la fixité de son regard.

— Êtes-vous aveugle ?

— Non, mon bon monsieur.

— Êtes-vous sans asile ? Pourquoi rester aussi longtemps immobile et exposée au froid ? »

Avec un lent et pénible effort, la vieille arrive enfin à changer la direction de son regard et le repose sur lui ; alors un spasme s’empare d’elle : il la voit s’agiter convulsivement.

Il se redresse, recule d’un pas, et la considère avec un sentiment de surprise et d’effroi, car il lui semble qu’il la connaissait.

« Grand Dieu ? se dit-il, c’est ainsi qu’était Jacques certaine nuit… »

La vieille murmurait :

« Mes poumons sont faibles… mes poumons sont bien malades… Pauvre malheureuse que je suis… ma toux est horriblement sèche !… »

Et, comme pour confirmer ses paroles, elle se mit à tousser affreusement.

« D’où venez-vous ?

— Je viens de Londres, mon bon monsieur. »

La toux déchira de nouveau sa poitrine.

« Où allez-vous ?

— Je retourne à Londres. Je suis venue ici à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin, et je ne l’ai pas trouvée. Écoutez-moi, mon bon monsieur… Donnez-moi trois shillings et six pence et ne vous effrayez pas à mon sujet. Je retournerai à Londres et je ne causerai de tracas à personne. Je suis dans les affaires… Pauvre malheureuse créature !… Elles sont bien molles… bien molles… les affaires… et les temps sont très-durs  !… Je trouve pourtant le moyen de gagner ma vie.

— Est-ce que vous mangez de l’opium !

— J’en fume quelquefois, répond-elle avec difficulté après un nouvel accès de toux. Donnez-moi trois shillings