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que de se voir présenté si clairement à lui-même dans le miroir que la jeune fille tenait devant lui.

Il s’était toujours jusque-là drapé d’un air protecteur dans sa supériorité, tout plein de condescendance dédaigneuse pour la faible part d’intelligence féminine qu’elle possédait.

Il pensait que le désir de recouvrer sa liberté avait éclairé Rosa.

Décidément il y avait eu quelque chose de radicalement mauvais dans les conditions par lesquelles on les avait conduits à l’engagement de toute leur vie !

« Tout ce que je dis de vous est aussi vrai pour moi, Eddy. S’il n’en était pas ainsi, je n’aurais pas la hardiesse de le dire. La seule différence qu’il y a entre nous, c’est que, petit à petit, j’ai pris l’habitude de réfléchir à ce sujet au lieu de l’écarter. Ma vie n’est pas aussi active que la vôtre, voyez-vous, et je n’ai pas à occuper mon esprit de tant de choses. Aussi avais-je déjà pensé à cela bien souvent, et avais-je versé bien des larmes, quoique ce ne fût pas votre faute, mon pauvre ami, quand, à l’improviste, mon tuteur est arrivé ici pour me préparer à quitter la Maison des Nonnes. J’essayai de lui donner à entendre que mes idées n’étaient pas bien arrêtées, mais j’hésitais, je n’eus pas le courage de m’expliquer plus clairement et il ne me comprit pas bien, mais c’est un homme bien excellent. Il me représenta avec tant de bonté et pourtant avec tant de force, à quelles réflexions sérieuses nous devions nous livrer, dans notre position, tous les deux, que je pris la résolution de vous parler la première fois que nous nous trouverions seuls et dans une disposition d’esprit à causer sans amertume d’un pareil sujet. Si j’ai semblé, tout à l’heure, aborder si facilement la question, et si je me suis expliquée tout de suite, ne pensez pas que cela m’était réellement facile. C’était au contraire bien… bien dur pour moi, et je suis bien affligée. »

Son cœur trop plein éclata une seconde fois en sanglots.

Edwin passa son bras autour de sa taille et ils marchèrent ensemble sur le bord de la rivière.

« Votre tuteur m’a parlé également, chère Rosa. Je l’ai vu avant de quitter Londres. »