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Sur les marches qu’ils commencent à gravir, Durdles s’arrête pour respirer et prendre de nouveau un cordial.

Ces marches sont enveloppées d’une ombre fort épaisse, mais au delà de l’obscurité ils peuvent voir les sentiers lumineux qu’ils viennent de traverser.

Durdles s’assied.

M. Jasper l’imite.

L’odeur de la gourde d’osier, qui est tout à fait passée, on ne sait comment, en la possession de Durdles, indique bientôt que le bouchon vient encore d’en être enlevé : mais ce n’est pas à l’aide du sens de la vue que Jasper pouvait s’en assurer, car ni l’un ni l’autre ne pouvait voir son compagnon.

Et pourtant quand ils se parlent, leurs visages se tournent instinctivement l’un vers l’autre.

« Cette liqueur est de bonne qualité, monsieur Jasper ?

— De très-bonne qualité, je l’espère. Je l’ai achetée avec l’intention de l’avoir telle et non autrement.

— Ils ne se montrent pas, vous le voyez, monsieur Jasper. Les « vieilles pratiques » ne veulent pas se montrer.

— Il y aurait plus de confusion encore en ce monde qu’il n’y en a, Durdles, si les morts se faisaient voir.

— En effet, cela amènerait la confusion en toutes choses, » dit Durdles après un moment de silence consacré à la réflexion.

L’idée des revenants ne s’était pas encore présentée à lui, au point de vue de leur inconvénient domestique ou chronologique.

« Mais croyez-vous qu’il puisse exister des fantômes qui ne sont ni des hommes, ni des femmes ?

— Que seraient-ils alors ?… Des ombres portées par les pierres ou par les arbres…

— Non, car ils rendent des sons.

— Quels sons, Durdles ?

— Des cris.

— Quels cris ?… Chaises à raccommoder ? Ou bien : À la sardine fraîche !

— Non, des cris de douleur. Durdles va vous conter cela, monsieur Jasper ; mais attendez que Durdles ait mis la gourde en ordre. »