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Edwin avait rougi, puis pâli à certains passages de ce portrait.

Il demeurait assis, les yeux fixés sur le feu, en se mordant les lèvres.

« Les idées spéculatives d’un homme positif et anguleux comme moi, reprit M. Grewgious en gardant la même posture et en parlant exactement sur le même ton, sont probablement erronées sur un sujet aussi nébuleux. Mais je me figure, sauf toujours les objections et les corrections de M. Edwin, qu’il ne peut exister ni froideur, ni lassitude, ni doute, ni indifférence, ni demi-feu, ni demi-fumée, dans l’esprit d’un véritable amoureux. Dites-moi, je vous prie, ai-je à peu près touché juste dans mon tableau ? »

Aussi brusque dans sa conclusion qu’il l’avait été dans son exorde et dans l’exposition de ses idées, il lança cette interpellation à Edwin et s’arrêta court, au moment où l’on aurait pu supposer qu’il n’était encore qu’au milieu de son discours.

« Je répondrai, monsieur, balbutia Edwin, puisque c’est à moi que vous adressez cette question…

— Oui, dit M. Grewgious, je m’adresse à vous comme à une autorité en la matière.

— Je dirai donc, monsieur, continua Edwin avec embarras, que le portrait esquissé par vous est, en thèse générale, assez exact ; mais je ferai observer que, peut-être, vous avez été un peu rude pour le pauvre amoureux qu’il vous a plu de décrire.

— C’est probable, reconnut M. Grewgious, c’est probable… Je suis un homme rude par nature.

— Il peut ne pas montrer tout ce qu’il sent, dit Edwin, ou peut-être ne peut-il pas… »

Là il s’arrêta, et longtemps ; il ne trouvait point le reste de sa phrase.

M. Grewgious lui rendit la difficulté mille fois plus grande en s’écriant :

« Non, bien certainement, il ne peut pas ! »

Sur quoi tous gardèrent le silence.

Le mutisme de M. Bazzard avait d’ailleurs pour cause, un profond sommeil.