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Ces derniers mots avaient été accompagnés d’un clignement d’yeux qui voulait être mystérieux, mais qui n’était pas même un clignement ; les paupières de Grewgious étaient trop lentes.

Edwin, qui les avait plus vives, cligna de l’œil à son tour, en manière de réponse, histoire de faire plaisir à Grewgious, il n’avait point d’autre idée.

« Et maintenant, dit M. Grewgious, je propose un toast à la belle et séduisante Mlle Rosa. Bazzard, à la belle et séduisante Mlle Rosa !

— Fort bien, monsieur, dit Bazzard, je vous fais raison.

— Et moi également, dit Edwin.

— Que Dieu me protège ! s’écria M. Grewgious, en rompant le morne silence qui, naturellement, avait suivi ce toast (et pourquoi sommes-nous disposés à nous taire, après nous être conformés à un petit usage de société, qui, après tout, n’est point de nature à éveiller nos réflexions ou à provoquer en nous le moindre accablement d’esprit ? Pourquoi nous taisons-nous ?… qui pourrait le dire !) Ah ! ah ! ah ! En vérité, je suis un homme essentiellement positif et pourtant je m’imagine, si je puis me servir de cette locution, n’ayant pas un atome d’imagination à mon service, que je serais capable ce soir de peindre l’état d’esprit d’un véritable amoureux.

— Nous vous écoutons, dit Bazzard. Veuillez nous faire ce portrait.

— M. Edwin corrigera les endroits défectueux, reprit M. Grewgious, et, par quelques touches habiles, il saura donner de la vie à mon tableau. Je ne suis pas un homme fait comme les autres. Je peux d’abord dire de moi-même, que je suis né morceau de bois, et je ne connais ni les tendres sympathies ni les tendres expériences de l’amour. Eh bien ! je hasarde cette conjecture que l’esprit du véritable amoureux est complètement pénétré par l’objet de ses affections ; il doit chérir jusqu’à son nom, il ne peut l’entendre prononcer, ce nom précieux, ni le répéter sans émotion. Si l’amoureux a pour désigner celle qu’il aime quelque dénomination particulière et mignarde, il la réserve pour elle seule, et ne la profère pas devant