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« Rêve-t-elle des boucheries et des tavernes où l’on peut avoir crédit, ou bien d’un accroissement de sa hideuse clientèle qui lui permît de remettre en état ce lit effondré et de tenir plus propre son affreuse cour puante ? »

Il se pencha sur elle, écoutant les mots inarticulés qui sortaient de ses lèvres blêmes.

« Inintelligible ! » dit-il.

Des mouvements désordonnés et des soubresauts nerveux commençaient alors à contracter le visage de la vieille, comme autant de chocs électriques…

Il la considérait, et, chose horrible, il sentait que la contagion allait encore le gagner…

Il se retira vers le fond de la chambre et se laissa tomber sur un vieux fauteuil de paille, aux bras duquel il se cramponna de toutes ses forces, combattant, comme il pouvait, le mauvais esprit.

Tout à coup il revint au grabat, se rua sur le Chinois, le saisit à la gorge.

Le Chinois lui repoussait les mains, se débattait, et grognait.

« Que dites-vous ? » fit l’homme.

Et il écouta.

« Inintelligible ! » murmura-t-il.

Alors il se tourna du côté du Lascar qu’il jeta bel et bien à bas du lit.

Le Lascar se souleva : ses yeux étincelaient ; ses bras s’agitèrent par un geste menaçant ; il cherchait le fantôme d’un poignard à son côté…

L’hôtesse, heureusement, s’était emparée de cette arme qui ne le quittait jamais, et du ceinturon du sauvage, elle avait fait passer le poignard à sa propre ceinture, quand vaincus tous deux par l’ivresse ils s’étaient laissés tomber côte à côte sur ce lit ou plutôt sur ce fumier.

Un colloque alors s’établit entre l’homme éveillé et la vieille femme.

Peut-être avait-elle conscience de ce qu’elle disait, mais ses lèvres se refusaient encore à produire un son clair et qui eût un sens dans une langue humaine.

L’homme jeta une pièce d’argent sur la table et sortit.