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Ces libérales instructions, M. Grewgious les débita de son ton habituel ; il avait l’air de lire un inventaire ou de réciter une leçon.

Bazzard, après avoir tiré la table ronde de son coin, sortit pour exécuter ces ordres.

« J’ai mis quelque délicatesse, voyez-vous, dit M. Grewgious, dans ma façon de l’inviter à se charger de ces fonctions de munitionnaire ou de commissaire des vivres… autrement cela aurait pu ne pas lui plaire.

— Ce clerc paraît avoir sa liberté d’action chez vous, monsieur, fit observer Edwin.

— Sa liberté d’action ? répliqua M. Grewgious. Oh ! non, cher monsieur. Le pauvre garçon, vous vous trompez complètement sur son compte. S’il avait sa liberté d’action, il ne serait pas ici.

— Je me demande où il voudrait être ? » pensa Edwin.

Mais il ne fit que le penser, car M. Grewgious s’était placé devant lui, à l’autre coin du feu, l’épaule appuyée contre la cheminée ; il réunissait les pans de sa robe de chambre pour entamer la conversation.

« J’imagine, sans prétendre au don de prophétie, que vous m’avez fait la faveur de me rendre visite pour m’apprendre que vous allez vous mettre en voyage, et pour m’offrir de vous charger des petites commissions que je puis adresser à ma charmante pupille ; peut-être aussi pour me presser un peu au sujet de certaines affaires… N’est-il pas vrai, monsieur Edwin ?

— Je suis venu vous voir avant de partir, monsieur, pour faire acte d’attention envers vous.

— D’attention !… dit M. Grewgious. Ah ! ah ! vraiment… Et à votre attention il ne se mêle, comme de raison, aucune impatience ?

— De l’impatience, monsieur ? »

M. Grewgious avait eu l’intention d’être méchant ; non pas que cette intention se fût manifestée le moins du monde par l’expression de sa physionomie.

Il s’était mis très-près du feu, dont la vivacité était à peine supportable ; comme s’il eût voulu brûler en lui-même la quintessence de sa méchanceté, une matière dure vraiment qui demandait, pour être consumée, une cha-