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— Je vous en prie, ne nous quittez pas encore, fit Helena d’une voix suppliante ; accordez-nous encore une minute.

— Je ne songerais pas, dit Neville en passant sa main sur son visage, à vous demander encore un instant et vous me trouveriez moins prêt à vous obéir, si vous aviez été moins patient avec moi, M. Crisparkle, si vous m’aviez montré moins d’intérêt, moins de bonté, et moins de franchise. Oh ! que n’ai-je eu dans ma jeunesse un pareil guide !

— Il faut suivre ton guide, maintenant, Neville, murmura Helena, et le suivre jusqu’au ciel. »

Il y eut, dans le ton dont elle prononça ces derniers mots quelque chose de mystérieux qui coupa la parole au bon chanoine ; sans quoi il aurait protesté contre cette indiscrète exaltation de ses mérites ; mais, dans la situation d’esprit où il était, il se contenta de porter son doigt à ses lèvres, et son regard se tourna vers Neville.

« Dire que je prends du fond du cœur les deux engagements que vous me demandez, et qu’en le faisant je ne garde pas d’arrière-pensée de trahison, c’est ne rien dire ! s’écria celui-ci fortement ému. J’implore votre pardon pour m’être laissé emporter de nouveau à un accès de colère.

— Pas mon pardon à moi, Neville ; vous connaissez Celui qui a vraiment la puissance de pardonner. C’est le plus beau des attributs de Dieu. Mlle Helena, vous et votre frère vous êtes jumeaux ; vous êtes tous deux venus au monde avec les mêmes penchants, et vos jeunes années se sont passées au milieu des mêmes peines. Le changement que vous avez accompli en vous-même, ne pouvez-vous pas l’accomplir chez Neville ? Vous voyez l’écueil qui se dresse sur la route. Qui mieux que vous peut le lui faire éviter ?

— Qui mieux que vous, monsieur, peut y parvenir ? répliqua Helena. Que sont, comparées aux vôtres, mon influence et ma sagesse ?

— Vous avez la sagesse du sentiment, reprit le chanoine, et c’est la plus haute qui jamais ait été connue sur cette terre, ne l’oubliez pas. Quant à la mienne, moins nous en parlerons, mieux cela vaudra. Bonne nuit !