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« La jeune personne dont vous parlez, doit, vous le savez, M. Neville, se marier prochainement, dit M. Crisparkle, avec beaucoup de gravité. Votre admiration, si elle est de la nature que vous semblez indiquer, est donc outrageusement déplacée. En outre, il est monstrueux à vous de vouloir prendre le rôle de champion de cette jeune fille, contre son futur mari. Vous ne les avez, d’ailleurs, vus tous deux qu’une seule fois. La jeune personne est devenue l’amie de votre sœur, et je m’étonne que même, dans l’intérêt de son amie, Helena n’ait pas cherché à étouffer en vous cette folle et coupable fantaisie.

— Elle l’a essayé, monsieur, mais en vain. Qu’il soit son mari ou non, ce jeune homme est incapable d’éprouver les sentiments qui m’inspire cette jeune et belle créature ; il la traite comme une poupée. Je dis qu’il est incapable d’éprouver ces sentiments, j’ajoute qu’il est tout à fait indigne d’elle. C’est la sacrifier que de la lui donner. J’avoue que je l’aime et que, lui, je le méprise et je le hais. »

Ceci avait été dit avec un visage si enflammé, et accompagné d’un geste si violent, qu’Helena passa près de Neville et lui saisit le bras en s’écriant :

« Neville !… Neville !… »

M. Crisparkle, après l’avoir observé attentivement, tout en réfléchissant au parti qu’il devait prendre, fit quelques pas en silence.

« M. Neville !… M. Neville !… Je suis douloureusement affligé de voir en vous ce que j’y vois ! dit-il, votre caractère est aussi sombre et aussi tourmenté que la nuit qui se prépare. Les choses que vous m’avez dites se présentent à moi sous un aspect bien sérieux, et je n’ai pas la ressource de traiter la folie que vous m’avez dévoilée comme ne méritant pas qu’on la prenne en considération… Je la prends en grande considération, au contraire, et je vous parle en conséquence. Cette inimitié entre vous et le jeune Drood ne doit pas persister. Je ne puis permettre qu’elle dure plus longtemps, sachant ce que je sais de votre caractère, et quand vous habitez sous mon toit. Quelles que soient les préventions que vous avez contre le caractère de ce jeune homme, je le tiens pour sincère et bon, c’est une justice que je puis lui rendre. Maintenant,