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aggravé par une intention bien arrêtée de m’offenser, et j’en suis irrité. La pure vérité, c’est que je suis encore tout aussi irrité que je l’étais le premier jour.

— Neville, répliqua M. Crisparkle d’un ton sérieux, voilà encore cette contraction de vos mains qui me déplaît si fort.

— Je le regrette, monsieur, mais ç’a été involontaire. J’ai avoué que j’étais encore irrité.

— Et j’avoue, moi, dit M. Crisparkle, que j’espérais mieux de vous ce soir.

— Je suis fâché de tromper votre attente, monsieur, mais il serait bien plus mal à moi de vous tromper en vous laissant croire que vous avez changé ma manière de sentir à cet égard. Le temps et votre puissante influence pourront obtenir cela même de votre disciple rétif. Mais il faut laisser agir le temps. Soyez sûr que je me livre de grands combats à moi-même, n’est-il pas vrai, Helena ? »

Celle-ci, dont les yeux noirs suivaient l’impression produite par les paroles de son frère sur le visage du chanoine, répondit à M. Crisparkle et non à Neville :

« C’est la vérité ! »

Puis au bout d’un moment elle fit une autre réponse au regard interrogateur de son frère par une légère inclination de tête.

Neville continua :

« Je n’ai pas encore eu le courage de vous dire, monsieur, ce qu’en toute franchise j’aurais dû vous dire la première fois que nous nous sommes entretenus à ce sujet. La chose n’est pas facile à exprimer, et j’ai été retenu par la peur de paraître ridicule, peur qui a agi toujours très-fortement sur moi jusqu’à ce moment, et qui, sans la présence de ma sœur, m’empêcherait peut-être encore de m’ouvrir à vous. J’admire Mlle Bud ; je l’admire si fort, monsieur, que si je n’avais pas contre M. Drood le ressentiment d’une injure personnelle, j’éprouverais ce ressentiment rien que pour ses torts envers cette jeune personne. »

M. Crisparkle, au comble de l’étonnement, regarda Helena pour chercher sur son visage la confirmation de ce qu’il entendait ; il ne l’y trouva point et n’y vit qu’une prière d’aider son frère de ses bons avis.