Page:Dickens - Le Mystère d'Edwin Drood, 1880.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Et vous n’avez pas de dettes ? »

Rosa se mit à rire à la pensée d’avoir des dettes : cela lui semblait dans son inexpérience une imagination bouffonne.

M. Grewgious concentra sur elle toute la puissance de sa vue de myope pour bien s’assurer que c’était là le fond de sa pensée.

« Ah ! dit-il, en forme de commentaire et tout en lançant un regard furtif du côté de Mlle Twinkleton et en passant un trait au crayon sur les mots : Livres, shillings, deniers ; je disais tout à l’heure que j’étais venu parmi les anges ! C’est bien la vérité ! »

Rosa pressentit quel allait être le prochain article du mémorandum ; elle rougit et redressa d’une main maladroite un faux pli de sa robe, longtemps avant que M. Grewgious n’eut parlé.

« Mariage. Hem !… »

M. Grewgious s’essuya la tête en ramenant la main jusque par-dessus son front, par-dessus son nez, par-dessus même son menton ; puis il rapprocha sa chaise de celle de la jeune fille ; il allait parler d’un ton plus confidentiel.

« Je touche maintenant, ma chère, dit-il au point délicat qui m’a décidé à venir vous ennuyer de ma visite. Sans cela, et comme je me connais pour un homme essentiellement anguleux, vous ne m’auriez pas vu ici. Je suis l’individu le moins porté à m’introduire dans une sphère pour laquelle je suis si peu fait. Dans cette maison, je me fais l’effet d’un ours paralysé par une crampe, au milieu d’un cotillon. »

Sa laideur lui donnait tant de ressemblance avec l’animal auquel il se comparait, que Rosa ne put s’empêcher de rire de bon cœur.

— Vous me voyez sous le même jour que je me vois moi-même, dit M. Grewgious avec un calme parfait, c’est juste ! Pour en revenir à mon mémorandum, M. Edwin est venu ici de temps à autre, ainsi que cela avait été convenu. Vous m’avez mentionné ces visites dans vos lettres trimestrielles, et vous l’aimez, et il vous aime.

Je l’aime beaucoup, monsieur, répondit Rosa.