de faire de nouvelles connaissances pour donner au loin une haute idée de leurs richesses et de leur importance.
En somme, il sembla à la petite Dorrit que cette société dans laquelle ils vivaient ressemblait, sur une plus grande échelle, à la prison de la Maréchaussée. D’abord, il y avait une foule de visiteurs qui semblaient n’avoir, pour aller à l’étranger, d’autres raisons que les détenus pour entrer dans la prison, c’est-à-dire qu’ils y étaient conduits par leurs dettes, leur paresse, leur parenté, leur curiosité et l’impossibilité générale où ils se trouvaient de faire leur chemin chez eux. Ils arrivaient dans les villes étrangères sous la garde de courriers et de serviteurs indigènes, à peu près comme les détenus arrivaient dans la prison sous celle des sergents. Ils flânaient dans les églises et les musées presque aussi tristement que les détenus se promenaient dans la vieille et sombre cour de la geôle. Ils étaient toujours sur le point de partir le lendemain ou la semaine d’après, sachant rarement ce qu’ils voulaient, ne faisant presque jamais ce qu’ils annonçaient devoir faire ; allant partout, excepté où ils avaient proclamé l’intention de se rendre, autre ressemblance frappante avec les prisonniers pour dettes. Ils payaient fort cher des logements incommodes, et dépréciaient une ville tout en faisant semblant de l’admirer, tout à fait comme les détenus de la prison de la Maréchaussée. En partant, ils excitaient l’envie des gens qui restaient tout en ayant l’air de ne pas tenir à s’en aller, selon l’habitude invariable des détenus. Ils avaient toujours à la bouche certains mots et certaines phrases de convention qui leur appartenaient en propre, comme l’argot du club et du collège appartenait à la geôle. Ils avaient pour toute occupation suivie, la même incapacité qui distinguait les détenus ; ils se corrompaient les uns les autres, toujours à la leçon des prisonniers insolvables ; ils portaient des toilettes négligées et menaient une existence oisive, suivant encore en cela l’exemple des gens de la Maréchaussée.
Le séjour de la famille Dorrit à Venise touchait à sa fin et ils se rendirent à Rome, avec leur suite. À travers une répétition des scènes qu’ils avaient déjà vues depuis leur arrivée en Italie, mais qui devenaient de plus en plus sales et misérables à mesure qu’ils avançaient, et après avoir passé par un endroit dont l’atmosphère était empestée, ils arrivèrent enfin au but de leur voyage. On avait retenu pour eux un très-bel hôtel sur le Corso, où ils établirent leur quartier général au milieu de cette ville où tout semble s’efforcer de résister au progrès et de se maintenir debout sur les ruines du passé… tout, excepté l’eau qui, obéissant aux lois éternelles, coule sans cesse du haut d’une multitude de magnifiques fontaines.
À Rome, il sembla à la petite Dorrit que la société cessait d’imiter les détenus et que le système des prunes et des prismes reprenait le dessus. Tout le monde se promenait autour de Saint-Pierre et du Vatican sur les béquilles de quelque autorité acceptée, et commençait par passer tout au sas dans le tamis convenu. Per-