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vernir par Mme  Général. Rien ne lui mettait l’esprit à la gêne comme de se soumettre aux opérations de polissage de cette main distinguée ; mais elle se résigna aux besoins de la famille dans ses jours de grandeur, comme elle s’était résignée aux besoins de la famille dans ses jours de misère, et, sous ce rapport, elle ne céda pas plus à ses propres inclinations qu’elle n’avait cédé à la faim elle-même, du temps qu’elle mettait son dîner de côté pour que son père eût de quoi souper.

Durant l’épreuve que lui fit subir Mme  Général, elle eut une consolation qui lui donna plus de force et lui inspira plus de reconnaissance que n’en eût éprouvé sans doute un cœur moins dévoué, moins affectueux, moins habitué aux luttes et aux sacrifices ; et, à ce propos, on n’a qu’à regarder autour de soi pour voir que les cœurs comme celui de la petite Dorrit n’ont jamais l’air de raisonner aussi juste que les gens qui les exploitent. Cette consolation, la petite Dorrit la trouvait dans la bonté soutenue de sa sœur. Peu lui importait que cette bonté prît la forme d’une protection tolérante, elle s’y était faite. Peu lui importait qu’on la maintînt dans une position inférieure et qu’on la traînât à la suite du char radieux où Mlle  Fanny se pavanait, recevant en tribut les hommages de la foule ; la petite Dorrit ne désirait pas une meilleure place. Admirant toujours la beauté de Fanny, sa grâce, sa vive intelligence, sans jamais se demander si l’amour qu’elle lui portait ne venait pas plutôt de la bonté de son propre cœur que du mérite de sa sœur, elle lui donnait toute la tendresse que peut renfermer le cœur, le cœur riche et fécond d’une sœur.

L’énorme quantité de prunes et de prismes dont Mme  Général opéra l’infusion dans la vie de famille de ses chers amis, jointe aux plongeons continuels que Fanny faisait dans la société, ne laissait qu’un résidu bien insignifiant au fond du bocal. C’est ce qui rendit les confidences échangées avec Fanny doublement précieuses pour la petite Dorrit et ce qui augmenta beaucoup le soulagement qu’elle y trouvait.

« Amy, dit Fanny un soir qu’elles se trouvaient seules après une journée si fatigante que la petite Dorrit était toute harassée, lorsque sa sœur aurait encore volontiers fait une nouvelle excursion dans la société, je vais tâcher de faire entrer quelque chose dans ta petite tête. Tu ne devinerais jamais de quoi il s’agit, je parie.

— C’est assez probable, chère Fanny, répondit la petite Dorrit.

— Allons, je vais te mettre sur la voie mon enfant… Mme  Général… »

Des milliers de combinaisons de prunes et de primes ayant fatigué la petite Dorrit pendant toute cette journée, où il n’avait été question que de surface, de vernis, de couleurs sans substance enfin, la petite Dorrit eut l’air de dire qu’elle espérait que Mme  Général était couchée pour quelques heures.

« Eh bien ! devines-tu, maintenant ? demanda Fanny.