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qu’une dernière liberté, c’est de payer la pâtisserie qui a servi d’humble prétexte à cette entrevue, et puis je vous dirai adieu, adieu pour toujours ! »

Mais la tante de M. Finching, qui avait mangé son pâté avec beaucoup de solennité, et qui avait médité quelque grave insulte depuis qu’elle avait occupé une position publique sur les marches de l’hôtel du directeur, saisit l’occasion pour adresser cette apostrophe sibylline à la veuve de son parent :

« Amenez-le-moi, que je le flanque par la fenêtre ! »

Flora essaya en vain de calmer cette excellente dame en lui expliquant qu’il était temps de rentrer dîner. La tante de M. Flinching s’obstina à répondre :

« Amenez-le-moi, que je le flanque par la fenêtre ! »

Après avoir réitéré plusieurs fois cet ordre cruel, en fixant sur la petite Dorrit un regard implacable, la tante de M. Finching se croisa les bras et s’assit dans un coin, déclarant avec opiniâtreté qu’elle ne bougerait pas de là tant qu’on ne lui aurait pas amené la mystérieuse victime de sa colère, afin qu’elle accomplît sur lui les volontés du destin ; autrement dit, pour qu’elle le flanquât par la fenêtre.

Dans ces conjonctures, Flora confia à la petite Dorrit qu’il y avait plusieurs semaines que la tante de M. Finching n’avait montré autant de caractère et d’animation ; qu’il lui faudrait peut-être rester là, et « pendant trois ou quatre heures, » avant d’attendrir cette dame inexorable, et qu’elle y réussirait mieux si on la laissait toute seule avec elle. Elles se séparèrent donc de la façon la plus amicale du monde et dans les meilleurs sentiments d’estime réciproque.

La tante de M. Finching, résistant comme une forteresse obstinée, et Flora éprouvant une fois de plus le besoin de se rafraîchir, on envoya un messager à l’hôtel voisin avec le verre en question, qu’on s’empressa de remplir de quelque chose de chaud, et de pas mauvais, ma foi ! Grâce à ce réconfortant, grâce à un journal, grâce à un choix prudent de l’élite des petits pâtés étalés dans la boutique, Flora passa le reste de la journée d’une manière assez agréable, sans rien perdre de sa bonne humeur, bien qu’elle fût de temps à autre embarrassée, par suite d’une stupide rumeur qui s’était répandue parmi les enfants les plus crédules du quartier, à qui l’on avait fait accroire que la vieille dame s’était vendue au pâtissier pour en faire des petits pâtés, et qu’elle était là, dans l’arrière-boutique, refusant de remplir son engagement. Cette nouvelle attira tant de jeunes badauds des deux sexes, et vers l’heure du crépuscule leur concours à la porte avait tellement diminué les recettes du garçon bien élevé, qu’il devint très-pressant pour qu’on emmenât la tante de M. F. On envoya donc chercher un fiacre, dans lequel les instances réunies de Flora et de son hôte engagèrent enfin cette dame remarquable à monter ; mais elle n’y fut pas plus tôt qu’elle mit la tête à la portière, demandant à grands cris qu’on lui amenât ce coupable anonyme pour lui infliger le châtiment que l’on sait.