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comme vous l’avez fait tous deux ? Car je ne suis plus aussi mauvaise qu’autrefois ; je suis bien encore assez mauvaise comme ça, mais pas si mauvaise qu’autrefois. J’ai eu, pendant tout ce temps-là, l’exemple de Mlle  Wade sous les yeux, et j’ai pu voir ce que je serais à son âge, prenant tout au rebours et transformant le bien en mal. Je l’ai vue, pendant tout ce temps-là, n’ayant plaisir à rien, si ce n’est à me rendre aussi malheureuse, aussi méfiante et aussi tourmentée qu’elle-même. Non qu’elle ait eu à se donner beaucoup de peine pour cela, s’écria Tattycoram, pleurant à chaudes larmes à mesure qu’elle approchait de sa péroraison, car j’étais aussi méchante qu’il est possible de l’être. Je veux seulement dire qu’après tout ce que j’ai souffert, j’espère que je ne serai plus aussi mauvaise qu’autrefois, et que je deviendrai meilleure petit à petit. J’essayerai de toutes mes forces : et je ne m’arrêterai pas à vingt-cinq, monsieur. Je compterai jusqu’à deux mille cinq cents, jusqu’à vingt-cinq mille, s’il le faut. »

La porte s’ouvrit de nouveau, Tattycoram se calma et la petite Dorrit entra. M. Meagles lui montra la boîte avec un geste de joie et d’orgueil. Un bonheur reconnaissant vint illuminer le visage de la jeune fille. Désormais le secret était sain et sauf ! Arthur ne saurait jamais d’elle ce qu’elle voulait lui taire ; il ne saurait jamais ce qu’elle avait perdu ; plus tard elle lui dirait ce qu’il lui importait d’apprendre et ce qui le concernait personnellement ; mais il n’apprendrait jamais ce qui ne regardait qu’elle seule. Tout cela était passé, pardonné, oublié.

« Maintenant, ma chère mademoiselle Dorrit, dit M. Meagles, vous savez que je suis un homme rompu aux affaires… ou du moins que je l’ai été… et en conséquence je vais prendre mes mesures avec autant de promptitude que possible. Ferai-je bien de voir Arthur ce soir ?

— Je crois qu’il vaut mieux différer. Je vais monter chez lui et lui demander comment il se porte. Mais je suppose d’avance qu’il vaudra mieux ne pas le voir ce soir.

— Je suis de votre avis, ma chère, dit M. Meagles ; aussi n’ai-je point voulu quitter cette chambre lugubre pour me rapprocher de lui. Il est probable maintenant que je ne le verrai pas d’ici à quelque temps. Mais que je ne vous retienne pas… je vous expliquerai ce que je veux dire à votre retour. »

Elle s’éloigna. M. Meagles, regardant à travers les barreaux de la croisée, la vit sortir de la loge au-dessous et entrer dans la cour. Alors il dit doucement :

« Tattycoram, venez près de moi un instant, ma bonne fille. »

Elle s’approcha de la croisée.

« Vous voyez cette jeune femme qui sort d’ici ? ce petit être frêle et tranquille qui traverse la cour, Tatty ? Regardez. Les promeneurs se dérangent pour la laisser passer. Les hommes (les pauvres diables, comme ils sont râpés !…) lui ôtent très-poliment leurs chapeaux ou leurs casquettes, et maintenant elle disparaît dans cette allée. Vous l’avez vue, Tattycoram ?