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CHAPITRE XXXIII.

Une fois, deux fois, trois fois, personne ne dit mot !


Les changements qui s’opèrent dans la chambre d’un fiévreux sont lents et capricieux ; mais ceux qui agitent ce monde, en proie aussi à la fièvre, sont rapides et irrévocables.

La petite Dorrit avait à surveiller à la fois ces deux sortes de changement. Pendant une partie du jour, les murs de la prison pour dettes enveloppaient de nouveau dans leur ombre l’enfant de la geôle, occupée de Clennam, travaillant pour lui, veillant sur lui, ne le quittant que pour lui consacrer encore tout son amour et toute sa sollicitude. Mais le rôle qu’elle avait à jouer dans la vie extérieure avait aussi ses exigences ; et la patience infatigable de la petite Dorrit faisait face à tout.

Il y avait d’abord Fanny, avec son orgueil, ses boutades, ses caprices, fort avancée déjà dans cette situation intéressante qui l’empêchait d’aller briller dans la société, et dont elle s’était plainte si amèrement le soir du canif à manche d’écaille, ayant toujours besoin d’être consolée, refusant les consolations qu’on lui offrait, décidée à accuser tout le monde d’avoir des torts avec elle, sans permettre aux autres de pousser l’audace jusqu’à la croire résignée à se laisser victimer.

Il y avait son frère : jeune vieillard, faible, orgueilleux, ivrogne, tremblant des pieds à la tête, la langue aussi embarrassée que si quelques pièces de cet argent dont la possession le rendait si fier, s’étaient introduites dans sa bouche et refusaient d’en sortir, incapable de se conduire tout seul dans aucune circonstance de la vie, affectant de protéger la sœur qu’il aimait d’une affection égoïste, pour le récompenser de ce qu’il se laissait guider par elle. Car l’infortuné Tip, au milieu de ses égarements, avait au moins le mérite négatif d’aimer la petite Dorrit.

Puis il y avait Mme  Merdle dans son deuil de gaze… (gracieuse toilette, dont le bonnet de veuve primitif avait sans doute été déchiré dans un violent accès de désespoir, pour être remplacé avec avantage par des échantillons élégants des modes de Paris… ) disputant pied à pied le terrain que Fanny voulait envahir et lui opposant du matin jusqu’au soir l’éclat incomparable de sa poitrine désolée.

Il y avait encore le pauvre Edmond Sparkler, qui ne savait comment faire pour rétablir la paix entre les deux rivales. Il avait beau émettre humblement l’opinion qu’elles n’avaient rien de mieux à faire que de se reconnaître l’une et l’autre pour de jolies femmes,