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scènes qui apparaissaient à une époque bien différente. Alors elle se penchait à son balcon et contemplait l’eau, comme si c’était là dedans que vivaient tous ses rêves ; puis elle la regardait couler d’un air rêveur, comme si, au dernier tableau, le courant allait se dessécher et laisser voir en se retirant la prison, l’enfant de la prison, la chambre, les habitants et les visiteurs d’autrefois, les vraies réalités durables qui n’avaient jamais changé.




CHAPITRE IV.

Une lettre de la petite Dorrit.


« Cher monsieur Clennam,

« Je vous écris de ma chambre de Venise, pensant que vous serez content d’avoir de mes nouvelles. Mais, dans tous les cas, je sais que vous ne pourrez pas avoir autant de plaisir à recevoir cette lettre de moi que j’en ai à vous l’écrire ; car rien n’est changé dans ce qui vous entoure, et vous ne vous apercevez pas qu’il vous manque quelque chose… à moins que vous ne vous aperceviez de mon absence, ce qui ne peut vous arriver qu’à de longs intervalles et seulement pour quelques minutes… tandis que moi, ma nouvelle existence est si étrange et il me manque tant de choses !

« Lorsque nous étions ou Suisse (il me semble qu’il y a déjà des années de cela, quoiqu’il n’y ait que quelques semaines), j’ai rencontré la jeune Mme  Gowan qui faisait, comme nous, une excursion dans les montagnes. Elle m’a chargée de vous écrire qu’elle vous remerciait affectueusement et ne vous oublierait jamais. Elle a été confiante avec moi et je l’ai aimée dès les premiers mots que nous avons échangés ensemble. Mais cela n’a rien d’extraordinaire. Qui donc pourrait s’empêcher d’aimer une si belle et si aimable personne ! Je ne suis pas du tout surprise de l’aimer, je vous assure.

« Je ne voudrais pas vous inquiéter sur le compte de Mme  Gowan (je me souviens que vous m’aviez dit que vous aviez pour elle une amitié sincère), et pourtant il faut que je vous avoue que j’aurais désiré pour elle un mari mieux assorti. M. Gowan paraît aimer sa femme, et, naturellement, sa femme l’aime beaucoup ; mais il ne m’a pas semblé assez sérieux… je ne veux pas dire dans son affection pour elle, mais en général. Je n’ai pu m’empêcher de penser que si j’étais Mme  Gowan (quelle métamorphose, si elle était possible ! et comme il me faudrait changer pour lui ressembler !), je me sentirais un peu seule et abandonnée faute d’un compagnon