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plaça donc dans l’embrasure de la fenêtre, que doraient les dernières lueurs d’un beau ciel d’été, et se mit à lire. Après avoir laissé échapper une ou deux exclamations de surprise et de terreur, elle acheva sa lecture en silence ; puis elle se retourna et vit son ancienne maîtresse qui se courbait devant elle.

« Maintenant vous savez ce que j’ai fait ?

— Oui, ou, du moins, je crains de le savoir, quoique j’aie l’esprit trop troublé, trop plein de regrets et de pitié pour bien saisir tout ce que je viens de lire, répliqua la petite Dorrit d’une voix agitée.

— Je vous rendrai ce qui vous appartient. Pardonnez-moi. Pouvez-vous me pardonner ?

— Dieu sait que je vous pardonne de tout mon cœur ! Ne baisez pas le bas de ma robe, ne vous agenouillez pas à mes pieds ; vous êtes trop âgée pour vous mettre à genoux devant moi. Je vous pardonne du fond de l’âme, sans cela.

— J’ai autre chose à vous demander.

— Pas dans cette attitude. Il n’est pas naturel de voir vos cheveux gris s’incliner devant ma jeunesse. Levez-vous, je vous en prie. Laissez-moi vous aider. »

À ces mots la petite Dorrit releva Mme  Clennam et se tint auprès d’elle, un peu effrayée, mais la regardant avec beaucoup de douceur.

« La grande grâce que j’ai à vous demander d’abord (car ce n’est pas la seule qui peut en découler), la grande prière que j’adresse à votre âme douce et généreuse, c’est de cacher tout ceci à Arthur jusqu’à ma mort. Si vous pensez, lorsque vous aurez eu le temps de réfléchir, qu’il soit avantageux pour lui de connaître ce secret de mon vivant, vous pouvez le lui révéler. Mais non, vous ne le penserez pas, et voulez-vous me promettre, dans ce cas, que vous m’épargnerez jusqu’au jour de ma mort ? »

— Je suis si désolée et ce que je viens de lire m’a tellement troublée, répliqua la petite Dorrit, que je puis à peine vous répondre avec assurance. Si j’étais bien sûre que la connaissance de ce secret ne pût faire aucun bien à M. Clennam, je…

— Je sais que vous lui êtes attachée et que vous devez songer à lui avant tout. C’est naturel et je ne vous demande pas autre chose. Mais si, après avoir consulté ses intérêts, vous vous croyez le droit de m’épargner pendant le peu de temps qu’il me reste à passer sur cette terre, le ferez-vous ?

— Oui.

— Dieu vous bénisse ! »

Mme  Clennam se trouvait dans l’ombre, de sorte qu’elle n’apparaissait plus, aux yeux de la petite Dorrit, restée dans le jour de la fenêtre, que comme une forme voilée ; mais sa voix, en prononçant ces trois mots de reconnaissance, avait une intonation à la fois fervente et saccadée. Il semblait que ses yeux, devenus humides, venaient de ressentir une émotion aussi nouvelle pour eux que le mouvement l’était pour ses membres longtemps paralysés.