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votre lampe à marcher à reculons de votre lit à cette cheminée pour mieux épier mes mouvements, je fais un petit tour de passe-passe et je brûle mon fac-similé… à votre grande satisfaction. Mon frère Éphraïm, dont la profession était de garder les aliénés (Pourquoi ne s’est-il pas gardé lui-même avec la camisole de force !) avait eu bien des pratiques depuis celle que vous lui aviez procurée et qui l’a occupé si longtemps ; mais ses affaires n’avaient pas prospéré. Sa femme était morte (le malheur n’est pas grand : si la mienne pouvait prendre le même chemin, elle m’obligerait) ; il avait fait des spéculations hasardeuses sur quelques aliénés, on le poursuivait pour avoir rôti un peu trop fort un fou qu’il voulait rappeler à la raison, et il se trouvait endetté. Il quittait le pays avec ce qu’il avait pu ramasser de son côté, et une petite somme que je lui donnais du mien. Il était justement ici de très-bonne heure le lundi en question, attendant la marée ; bref, il allait s’embarquer pour Anvers, où… (si je ne craignais pas de blesser vos chastes oreilles, je dirais : que le diable l’emporte !…) il a fait connaissance de monsieur. Il venait de loin, et j’ai cru longtemps qu’il tombait de sommeil, mais je vois bien maintenant qu’il était ivre. Lorsque sa femme et lui avaient eu à garder la mère d’Arthur, la folle passait presque tout son temps à écrire… principalement des lettres de confession et des prières qu’elle vous adressait pour vous demander grâce. Mon frère m’avait de temps à autre remis ces lettres. J’ai cru que je ferais aussi bien de les garder moi-même que de vous les donner, car vous les auriez mangées toutes crues comme le reste… de façon que je les ai mises dans un coffret afin de les lire quand l’envie m’en prendrait. Convaincu, à l’arrivée d’Arthur, qu’il ne serait pas prudent de conserver le codicille dans la maison, je le mis dans ce même coffret qui fermait au moyen de deux serrures, je le confiai à mon frère, qui devait l’emporter et me le garder jusqu’au jour où je lui écrirais pour le redemander. C’est ce que j’ai fait plusieurs fois, mais pas de réponse. Je ne savais trop que penser, lorsque ce monsieur nous honora de sa première visite. Je commençai naturellement à deviner ce qui en était et je n’ai pas besoin qu’il me le dise pour savoir comment il a puisé ses renseignements dans mes papiers et dans le vôtre, ainsi que dans le bavardage de mon ivrogne, de mon fumeur de frère, entre une pipe et un petit verre. (Ah ! si on avait pu seulement lui mettre un bâillon comme celui qu’il mettait aux autres !) Maintenant, femme têtue que vous êtes, je n’ai plus que deux mots à vous dire. Les voici. Je n’étais pas encore bien décidé à me servir ou à ne pas me servir du codicille pour vous tourmenter. Je crois pourtant que je me serais contenté de savoir que j’avais été plus habile que vous, et que je pouvais vous faire baisser pavillon quand bon me semblerait. Dans l’état actuel de nos affaires, voilà toute l’explication que j’ai à vous offrir pour le moment : d’ici à vingt-quatre heures, vous saurez le reste. Vous ferez donc tout aussi bien, dit le sieur Flintwinch, qui termina son discours par un tour