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entremêlés de cognac et de tabac, avec un petit accès d’ivresse tous les soirs, jusqu’au jour où il est remonté au ciel. Ha, ha, ha ! qu’importe maintenant la façon dont je me suis procuré les papiers que renfermait la boîte de fer ? Peut-être me les a-t-il confiés pour vous les remettre ; peut-être la vue d’un coffret fermé à clef a-t-elle piqué ma curiosité, et m’a-t-elle fait forcer la boîte. Ha, ha, ha ! qu’importe tout cela, pourvu que j’aie les papiers en lieu sûr ? Ce n’est pas comme si nous étions ici un tas de bégueules, mon Flintwinch. Il n’y a pas de bégueules ici, n’est-ce pas, chère madame ? »

Reculant devant lui, et lui rendant ses coups de coude de mauvaise humeur, le sieur Flintwinch regagna son coin, où il se tint les mains dans les poches, reprenant haleine, et répondant avec impudence au regard étonné de Mme Clennam.

« Ah, ah ! qu’est-ce que cela veut dire ? reprit Rigaud, qui les observait. Il paraîtrait que vous ne vous connaissez pas encore, mes petits associés ? Permettez-moi, chère madame Clennam, vous qui supprimez les testaments, de vous présenter M. Flintwinch, qui les restaure à son profit. »

Jérémie, retirant une de ses mains de sa poche pour se caresser la mâchoire, avança d’un pas ou deux, sans cesser de se gratter le menton, et les yeux toujours fixés sur Mme Clennam.

« Oh ! je sais bien ce que vous voulez dire, en ouvrant comme ça de grands yeux ; mais c’est peine perdue, car vous ne me ferez pas peur. Voilà je ne sais combien d’années que je vous dis que vous êtes la femme la plus têtue et la plus opiniâtre qui soit au monde, et vous n’êtes pas autre chose. Vous allez répétant toujours que vous n’êtes qu’une humble pécheresse, mais vous avez, au contraire, un amour-propre du diable. Voilà votre caractère. Je vous ai répété mille et mille fois, quand nous avons eu des mots ensemble, que vous vouliez que tout le monde vous cédât, mais que vous ne me feriez pas céder ; que vous vouliez manger les gens tout crus, mais que je ne me laisserais pas manger tout cru. Pourquoi n’avez-vous pas détruit le papier la première fois que vous avez mis la main dessus ? Je vous avais conseillé de le faire ; mais non, vous vous moquez pas mal des conseils qu’on vous donne. Vous avez tenu à le garder. Ah ! c’était, dites-vous, pour l’exécuter plus tard, si l’envie vous en prenait. Oui. Je t’en moque ! avec ça que je ne vous connais pas ! Plus souvent que, avec votre orgueil, vous auriez couru le risque d’être soupçonnée d’avoir caché ce codicille. Mais voilà comme vous cherchiez à vous tromper vous-même. C’est comme lorsque vous voulez nous faire accroire que, si vous vous êtes vengée, comme vous l’avez fait, ce n’est pas parce que vous êtes une méchante femme, irritable, passionnée, rancunière et implacable, mais parce que votre Seigneur vous a choisie pour sa servante et son ministre, et vous a donné une mission. Qui diable êtes-vous pour qu’il vous donne une mission pareille ? Tout ça, c’est peut-être de la religion pour vous, mais, pour moi, ce