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une fois, le temps presse. Continuez si vous ne voulez pas que je termine ce récit intéressant !

— Non, je ne veux pas, répondit Mme  Clennam, d’un ton encore plus résolu. Laissez-moi parler, car je ne veux pas me voir, je ne veux pas que les autres me voient dans le portrait menteur que vous voulez faire de moi. Vous, avec votre infâme expérience des prisons et des galères, vous voudriez faire croire que c’est l’argent qui m’a tentée. Mais non, ce n’était pas l’argent.

— Bah ! bah ! bah ! Je mets de côté, pour le moment, ma politesse et ma galanterie habituelles pour vous dire : Mensonge, mensonge, mensonge ! Vous savez que vous avez supprimé l’acte et gardé l’argent.

— Ce n’était pas pour l’argent, misérable !… (Mme  Clennam fit comme un effort pour se lever et même, dans son énergie, elle parvint presque à se dresser sur ses pieds perclus)… Si Gilbert Clennam, réduit à un état d’imbécillité, s’est figuré, à son lit de mort, qu’il devait faire quelque chose pour une fille que son neveu avait aimée et qui s’était abandonnée à la tristesse et retirée du monde après avoir vu fouler au pied ce coupable amour… si dans un moment de faiblesse, Gilbert Clennam m’a dicté, à moi dont l’existence avait été empoisonnée par cette femme et qui avait été choisie pour apprendre de sa bouche le secret de sa honte, un codicille destiné à compenser des souffrances imméritées selon lui… est-ce la même chose d’avoir voulu anéantir cette injustice criante ou d’avoir eu l’idée de m’approprier par convoitise une simple somme d’argent… comme vous et vos camarades de prison vous en volez tous les jours au premier venu ?

— Le temps presse, madame. Prenez garde !

— Quand même cette maison brûlerait depuis la cave jusqu’au grenier, répondit la paralytique, j’y resterais sans bouger pour me justifier, pour empêcher qu’on ne dénature mes pieuses intentions en les comparant à celles d’un assassin et d’un voleur. »

Rigaud, d’un air de mépris, fit claquer ses doigts à la figure de Mme  Clennam.

« Le vieil oncle a laissé mille livres sterling à la belle enfant que vous avez tuée à petit feu ; mille livres sterling à la plus jeune fille que le protecteur de cette belle enfant pourrait avoir à cinquante ans, ou (dans le cas où il n’en aurait pas), à la plus jeune fille de son frère, en souvenir de la protection désintéressée qu’il aurait donnée à une jeune orpheline délaissée. Total deux mille livres sterling. Quoi ! n’en viendrons-nous jamais à l’argent ?

— Ce protecteur… » reprit Mme  Clennam avec beaucoup de véhémence. »

Rigaud l’interrompit aussitôt :

« Je veux des noms. Donnez-lui son nom. Appelez-le Frédéric Dorrit. Plus de faux-fuyants !

— C’est ce Frédéric Dorrit qui a été la cause de tout. Si ce n’avait pas été un amateur de musique ; si, aux jours de sa jeunesse et