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— Allez chercher ce qu’il demande, Cavalletto, dit Arthur d’un ton de mépris, et il tira l’argent de sa poche.

— Et que ce soit du porto, entends-tu, brute du contrebandier ! ajouta M. Rigaud. Je ne bois que du porto-porto ! »

Cependant, comme cette brute de contrebandier annonçait formellement par un geste de son index éloquent qu’il ne voulait pas quitter son poste, signor Panco offrit de se charger de cette commission. Il ne tarda pas à revenir avec une bouteille de porto ; seulement, selon une coutume de l’endroit basée sur l’absence traditionnelle de tire-bouchons parmi les insolvables (les pauvres diables manquaient de bien autre chose), elle se trouvait déjà débouchée par le débit.

« Allons, imbécile ! un grand verre, » dit Rigaud.

Signor Panco posa devant Rigaud le verre demandé, mais non sans éprouver un désir bien évident de le lui jeter à la tête.

« Ah ! ah ! reprit Rigaud d’un ton vantard, un gentilhomme est toujours un gentilhomme, que diable ! Un gentilhomme a bien le droit de se faire servir, je présume ? C’est dans mon caractère, à moi, de me faire servir ! »

Il remplit son verre à moitié tandis qu’il parlait, et il l’avait déjà avalé qu’il parlait encore.

« Ah ! répéta-t-il en faisant claquer sa langue, il n’y a pas bien longtemps que ce détenu- est en prison ! Je vois à votre mine, mon brave monsieur, que la captivité calmera votre sang bien plus vite qu’il n’adoucira ce porto. Tenez ! voilà que ça commence déjà, car vous pâlissez et vous maigrissez à vue d’œil. Je vous salue ! »

Il vida de nouveau son verre, le tenant en l’air avant de boire et après avoir bu, pour laisser voir sa jolie petite main blanche.

« Aux affaires, maintenant, poursuivit-il. Causons un peu. Vous me paraissez assez libre en paroles, si vous ne l’êtes pas trop ici de votre personne.

— Je suis assez libre pour vous donner les noms que vous méritez. Vous savez bien, et nous savons tous, que je vous ai encore ménagé.

— Pourvu que vous ajoutiez que je suis un gentilhomme, peu m’importe le reste. À cela près, tous les hommes se ressemblent. Mais, par exemple, vous aurez beau faire, vous, vous ne passerez jamais pour un gentilhomme, tandis que moi j’aurai beau faire, je n’aurai jamais l’air d’autre chose. Voilà la différence. Continuons. Les paroles, monsieur, n’ont jamais changé la valeur d’une carte ni un coup de dé. Savez-vous cela ? Oui ? Eh bien, moi aussi, je suis engagé dans une partie à laquelle les mots ne changeront rien. »

Maintenant qu’il se trouvait en face de Cavalletto et qu’il savait qu’on connaissait son histoire, il laissa tomber le masque assez transparent qu’il avait porté jusqu’alors, et se montra à visage découvert, ne cherchant plus à cacher son infamie.

« Oui, mon garçon, reprit-il en faisant de nouveau claquer ses