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occasion pour remarquer qu’il était temps de laisser M. Clennam à lui-même.

« Car, vois-tu, ajouta-t-il gravement, je sais ce que c’est, ma vieille. »

Il répéta plusieurs fois cette précieuse observation, comme si elle lui eût paru renfermer un grand précepte moral, et le digne couple s’éloigna bras dessus, bras dessous.

« Petite Dorrit, petite Dorrit ! » Encore, pendant des heures entières, et toujours la petite Dorrit.

Heureusement que lors même qu’il y aurait jamais eu quelque chose de vrai dans l’histoire de cet amour, ce n’était plus que de l’histoire ancienne. C’était fini, bien fini, et tant mieux. Si, en effet, elle l’avait aimé et qu’il l’eût su et qu’il se fût laissé aimer, quel chemin que celui qu’il aurait fait prendre à la chère enfant… le chemin qui devait la ramener à cette misérable prison ! Il devait se consoler en songeant qu’elle ne risquait plus d’y revenir ; qu’elle était ou serait bientôt mariée (quelques vagues rumeurs des intentions de l’ex-doyen à cet égard avaient circulé dans la cour du Cœur-Saignant à l’époque du mariage de Fanny), et que la grille de la prison était à jamais fermée maintenant au retour des éventualités embrouillées d’un temps désormais écoulé.

« Chère petite Dorrit ! »

Lorsque Arthur jetait un regard en arrière sur la triste histoire de sa propre vie, la petite Dorrit lui apparaissait toujours à l’horizon. Tout aboutissait à cette innocente image. Il la retrouvait au bout des milliers de lieues qu’il avait faites à son retour. C’est elle qui avait calmé ses inquiétudes et ses doutes d’autrefois ; elle était le centre de tout l’intérêt de son existence, l’âme de tout le bonheur que la vie avait pu lui donner encore. Sans elle que trouvait-il au dedans de lui-même et dans ses souvenirs ? rien que désolation et ténèbres.

Aussi mal à l’aise que la première fois qu’il avait couché entre ces sombres murs, il passa la nuit à tourner toutes ces pensées dans son esprit. Pendant ce temps-là M. Chivery fils dormait au contraire d’un sommeil paisible, après avoir composé et disposé (sur son oreiller) l’épitaphe que voici :

PASSANT !
RESPECTE LA TOMBE DE
JOHN CHIVERY, JUNIOR,
MORT À UN ÂGE TRÈS-AVANCÉ
QU’IL EST INUTILE DE SPÉCIFIER.
IL RENCONTRA UN RIVAL COURBÉ SOUS LE POIDS DU MALHEUR,
ET SE SENTIT TOUT DISPOSÉ
À LUI PROPOSER UN DUEL À COUPS DE POINGS ;
IL SUT VAINCRE CES SENTIMENTS AMERS,
ET SE MONTRA
MAGNANIME.