Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.

autorité vous vous fondez. Pourquoi, monsieur ? répondez, expliquez-vous. Je veux savoir pourquoi. »

L’aubergiste demanda la permission d’expliquer à monsieur le courrier que monseigneur, si aimable d’ordinaire, s’irritait sans motif. Il n’y avait pas de pourquoi. Monsieur le courrier voudrait bien représenter à monseigneur qu’il se trompait en soupçonnant qu’il y avait un autre pourquoi que celui que son très-dévoué serviteur avait déjà eu l’honneur de lui expliquer. La dame si distinguée…

« Silence ! s’écria M. Dorrit. Taisez-vous ! Je ne veux plus entendre parler de cette dame si distinguée ; je ne veux plus vous écouter. Voyez cette famille… ma famille… elle est plus distinguée que toutes les dames du monde. Vous avez manqué de respect à cette famille. Vous avez fait une insolence à cette famille. Je vous ruinerai… Hem !… Envoyez chercher les chevaux, préparez les voitures, je ne mettrai plus les pieds dans la maison de cet homme ! »

Personne ne s’était mêlé de cette dispute à laquelle les connaissances linguistiques d’Édouard Dorrit, esquire, ne lui permettaient pas de prendre part et dans laquelle les dames ne pouvaient guère intervenir. Cependant Mlle  Fanny appuya son père avec beaucoup d’amertume, déclarant dans sa langue maternelle, qu’il était clair qu’il y avait quelque chose de particulier dans l’impertinence de cet homme ; qu’il importait beaucoup, selon elle, de l’obliger, d’une façon ou d’une autre, à dénoncer la personne qui l’avait autorisé à établir des distinctions entre leur famille et les autres familles opulentes. Elle avait peine à s’imaginer les motifs qu’il pouvait avoir de montrer pareille insolence ; mais on ne pouvait douter qu’il eût des motifs, et il fallait lui en arracher l’aveu.

Les guides, les conducteurs de mules et tous les flâneurs présents dans la cour qui avaient assisté à cette explosion de colère, furent vivement impressionnés en voyant le courrier se démener pour faire sortir les voitures des remises. Avec l’aide de deux douzaines de bras environ pour chaque roue, on y parvint non sans beaucoup de vacarme ; puis on commença à charger les voitures en attendant les chevaux qu’on avait envoyé chercher à la poste.

Mais le coupé de voyage de la dame très-distinguée étant déjà attelé à la porte de l’hôtel, l’aubergiste s’était esquivé afin de lui faire part de sa triste position. Les spectateurs rassemblés dans la cour apprirent cette démarche en voyant l’hôtelier descendre l’escalier à la suite du monsieur et de la dame en question, auxquels il indiquait d’un geste très animé la majesté offensée de M. Dorrit.

« Mille pardons, dit le monsieur quittant la dame et s’avançant tout seul ; je ne sais pas ce que c’est que de parler longuement, et je n’entends pas grand’chose aux explications… mais la dame que j’accompagne tient beaucoup à ce qu’il n’y ait pas de tapage. Cette dame… ma mère pour tout dire… me charge de vous exprimer le désir qu’il n’y ait pas de tapage. »