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bien au-dessus de moi sous tous les rapports. Et d’ailleurs, ajouta John, sa famille distinguée était supérieure à la mienne. »

Le sentiment chevaleresque de John pour la petite Dorrit et pour tout ce qui lui appartenait le rendait si respectable, en dépit de sa petite taille, de ses jambes grêles, de sa chevelure d’un blond filasse et de son tempérament poétique, qu’un Goliath aurait pu prendre sa place sans inspirer autant de considération à Arthur.

« Vous parlez comme un homme, John ! dit-il d’un ton de sincère admiration.

— Eh bien ! monsieur, tâchez de faire comme moi… voilà tout ce que je vous demande, » répliqua John, passant la main sur ses yeux. »

Il avait mis tant de vivacité et d’aigreur dans cette riposte qu’Arthur le contempla encore une fois d’un air surpris.

« Toutefois, ajouta John, tendant la main à son hôte par-dessus la table, l’expression est trop forte, je la retire. Mais pourquoi aussi, pourquoi, lorsque je vous dis : « Monsieur Clennam, soignez-vous dans l’intérêt de quelqu’un que vous savez, » pourquoi ne pas user de franchise, même envers un porte-clefs ? Si je vous ai donné la chambre qui devait vous plaire le mieux ; si je vous ai monté vos malles (non que je les aie trouvées lourdes… pas du tout, je n’en aurais pas parlé sans cela)… si je vous ai cultivé comme je l’ai fait depuis ce matin, croyez-vous que ce soit pour vos propres mérites ? Non. Ils sont très-grands, je n’en doute pas le moins du monde ; mais ce n’est pas pour eux que je l’ai fait. Les mérites d’une autre personne sont plus grands encore : ce sont eux qui ont eu tant d’influence sur moi… Pourquoi donc ne pas me parler franchement à votre tour ?

— Eh bien, franchement, John, vous êtes un si bon garçon et votre caractère m’inspire un respect si sincère, que je me reproche de n’avoir pas deviné qu’il fallait attribuer à la confiance que m’a témoignée Mlle Dorrit les bons services que vous m’avez rendus aujourd’hui… J’avoue mon tort, et je vous prie de me le pardonner.

— Oh ! pourquoi ? répéta John avec le même dédain qu’auparavant, pourquoi si peu de franchise ?

— Je vous assure que je ne vous comprends pas. Regardez-moi. Songez aux chagrins que j’ai éprouvés. Est-il probable que j’ajouterais sciemment aux autres reproches que je m’adresse, celui de m’être montré ingrat ou traître envers vous ? Je ne vous comprends pas. »

Le visage incrédule de John s’adoucit peu à peu et n’exprima plus que le doute. Il se leva, marcha à reculons vers la fenêtre mansardée, fit signe à Clennam de s’avancer jusque-là et le contempla d’un air rêveur en disant :

« Monsieur Clennam, vous n’allez pas me dire que vous ne savez pas ?

— Que je ne sais pas quoi, John ?