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ritables, de noblesse généreuse dans les affections ? Chez cette pauvre enfant ! Tout homme que je suis, avec les avantages, les moyens, l’énergie d’un homme, j’aurais peut-être fermé l’oreille au murmure de mon cœur, qui me disait que, si mon père avait eu des torts, mon premier devoir était de cacher sa faute et de la réparer ; mais alors qui m’aurait fait rougir de ma lâcheté ? Une faible fille, dont les pauvres petits pieds, mal chaussés, s’usaient presque sur le pavé, dont les pauvres petites mains, si maigres, travaillaient sans relâche, dont le pauvre petit corps mignon était à peine défendu par ses minces vêtements contre le froid : la petite Dorrit. »

C’est ainsi que, seul dans cette triste chambre, il rêvait du fond du vieux fauteuil fané, toujours à la petite Dorrit. Il y rêva tant, qu’il lui sembla que son malheur présent était une punition de s’être égaré loin d’elle, d’avoir souffert que quelque chose vînt se poser entre lui et le souvenir des vertus de sa petite Dorrit.

La porte de la chambre s’ouvrit, et la tête de M. Chivery père se montra en partie, mais sans se tourner vers Arthur.

« Je ne suis plus de garde, monsieur Clennam, et je vais sortir. Puis-je faire quelque commission pour vous ?

— Grand merci. Non.

— Vous m’excuserez si j’ai ouvert la porte ; mais je n’ai pas pu me faire entendre.

— Est-ce que vous avez frappé ?

— Mais oui… au moins cinq ou six fois. »

Arthur, sortant de sa rêverie, remarqua que la prison s’était réveillée de sa sieste, que les détenus promenaient leur désœuvrement à l’ombre, dans la cour, et qu’il devait être deux ou trois heures de l’après-midi.

« Vos effets sont arrivés, reprit M. Chivery aîné, et mon fils va les monter. Je vous les aurais déjà envoyés ; mais il tenait absolument à vous les monter lui-même ; c’est ce qui m’en a empêché. Monsieur Clennam, puis-je vous dire un mot ?

— Donnez-vous donc la peine d’entrer, » répondit Arthur.

Car M. Chivery tenait toujours la tête presque tout entière en dehors de la porte, et, au lieu de fixer ses deux yeux sur le prisonnier, il se contentait discrètement de lui prêter une oreille. Et pourtant personne n’avait appris à M. Chivery cette délicatesse d’instincts, cette exquise politesse, tant il est rare qu’on peut avoir la tournure d’un guichetier avec le cœur d’un gentleman !

« Merci, monsieur, répliqua M. Chivery, qui ne bougea pas, ce n’est pas la peine. Monsieur Clennam, si c’était un effet de votre complaisance, ne faites pas attention à mon fils dans le cas où vous le trouveriez un peu mauvaise tête. Mon fils a du cœur, et bien placé, j’ose dire ; moi et sa mère nous savons bien qu’il n’en manque pas, et nous le trouvons toujours au bon endroit. »

Après avoir prononcé ce discours mystérieux, le guichetier retira son oreille et ferma la porte. Il n’y avait guère plus de dix minutes qu’il était parti, lorsque le fils se montra.