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CHAPITRE XXVII.

L’apprentissage de la Maréchaussée.


Il est midi, et la Maréchaussée, sur laquelle le soleil darde de chauds rayons, semble plus tranquille que de coutume. Arthur Clennam, assis dans un vieux fauteuil aussi fané que le plus ancien des détenus, s’abandonne à ses réflexions.

Quand un malheureux fait son début dans la prison, le premier changement qui s’opère en lui, c’est une espèce de calme ou plutôt d’abattement résigné, d’où bientôt il glisse trop souvent, par degrés insensibles, dans la dégradation et la honte. Clennam, dans cet état de paix mensongère, en face de sa honte maintenant consommée, songeait à certaines phases de sa vie passée, comme un mort doit rêver à son existence d’autrefois. Si l’on considère l’endroit où il se trouvait, l’intérêt qui l’avait conduit vers cette prison, alors qu’il était libre de n’y pas entrer, la douce présence de l’image aussi inséparable des barreaux et des murs environnants que des souvenirs impalpables d’une époque plus récente, que nuls barreaux ne sauraient emprisonner, on ne sera pas surpris que la mémoire du prisonnier le ramenât à la petite Dorrit. Pourtant, il s’en étonnait, non à cause du fait même, mais parce que ce fait lui rappelait toute l’influence salutaire que ce cher petit être avait exercée sur ses bonnes résolutions.

Aucun de nous ne sait clairement à quelles personnes, à quels événements nous sommes redevables sous ce rapport, jusqu’au jour où la roue de notre existence, brusquement arrêtée au milieu de sa course affairée, vient nous l’apprendre. Il ne faut pour cela qu’une maladie, un chagrin, la perte de ceux que nous aimons, et c’est un des plus grands avantages que nous puissions tirer de l’adversité. Dans son malheur Clennam en fit l’épreuve tendre et salutaire.

« La première fois que j’ai commencé à vivre pour mon propre compte, pensa-t-il, que mes yeux fatigués ont entrevu quelque chose qui ressemblait à un but, qui ai-je aperçu devant moi, s’avançant par un sentier pénible, forte de son dévouement, sans recevoir ni encouragements ni éloges, luttant contre d’ignobles obstacles qui auraient effrayé une armée de héros et d’héroïnes de convention ? Une faible enfant ! Lorsque j’ai essayé de vaincre mon amour déplacé, de me montrer généreux envers un rival plus heureux, bien qu’il ne dût jamais connaître mon sacrifice, ni le récompenser par un seul mot de sympathie ; chez qui avais-je pris cette leçon de patience, d’abnégation, d’oubli de moi-même, d’interprétations cha-