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— Je ne le vois que trop bien. » répondit Clennam.

M. Pancks remplit un intervalle de silence par un gémissement qui venait du fond de son cœur.

« Quand je pense que, pas plus tard qu’hier, reprit Arthur, j’étais bien décidé à vendre, à réaliser et à en finir.

— Je ne pourrais pas en dire autant, monsieur. Mais c’est étonnant combien j’ai rencontré de personnes, ce matin, qui comptaient réaliser hier, positivement hier, pas demain, pas aujourd’hui, pas un des autres trois cent soixante-six jours de l’année, s’il n’avait pas été trop tard ! »

Ses ronflements de locomotive, qui d’ordinaire produisaient un effet assez comique, semblaient ce jour-là plus tragiques que des sanglots, tandis que sa personne, des pieds à la tête, était si sale et si négligée qu’on aurait pu le prendre pour un portrait authentique et ressemblant du Malheur, dont on ne pouvait pas bien distinguer les traits, parce qu’il avait besoin d’être nettoyé.

« Monsieur Clennam, est-ce que vous avez risqué… tout ? »

Il avait eu beaucoup de peine à sauter par-dessus les points et à prononcer ce dernier mot.

« Oui : tout. »

Pancks saisit ses cheveux touffus et les tira avec tant de force qu’il en arracha encore plusieurs mèches. Après avoir regardé ces dépouilles d’un œil furibond, il les mit dans sa poche.

« Il faut que je prenne tout de suite mon parti, ajouta Clennam essuyant quelques larmes silencieuses qui venaient de déborder. Il faut que je me hâte au moins d’offrir la seule et triste réparation que je puisse offrir. Il faut que je mette la réputation de mon malheureux associé à l’abri de tout soupçon. Il faut que je me dépouille de tout ce que je possède. Il faut que je remette à nos créanciers la direction dont j’ai tant abusé, et que je me résigne à travailler jusqu’à la fin de mes jours pour effacer autant que possible ma faute… ou mon crime.

— N’y a-t-il pas moyen, monsieur, de laisser passer l’orage ?

— Impossible. Tout est perdu, Pancks. Plus tôt je pourrai mettre les affaires de la maison en d’autres mains, mieux cela vaudra. Il y a des engagements à remplir cette semaine qui causeraient une catastrophe d’ici à peu de jours, quand même je pourrais me résoudre à la retarder jusque-là, en sachant ce que je sais. Toute la nuit j’y ai réfléchi ; il ne me reste plus qu’à agir.

— Mais au moins n’agissez pas seul, reprit Pancks, dont le visage était aussi humide que si toute sa vapeur se transformait en eau dès qu’elle s’échappait. Consultez un homme de loi.

— Vous avez raison : c’est peut-être encore ce qu’il y a de mieux.

— Prenez Rugg.

— Il n’y a pas grand’chose à faire. Il le fera aussi bien qu’un autre.

— Voulez-vous que j’aille chercher Rugg, monsieur Clennam ?