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cord unanime, avec une piété exemplaire, qu’ils espéraient bien ne jamais oublier cette leçon, et régler leur conduite de façon à éviter les méningites, et se conserver le plus longtemps possible, pour la consolation de leurs amis.

Mais vers l’heure de la bourse, la méningite commença à pâlir. De sinistres rumeurs se mirent à circuler à l’ouest, à l’est, au nord et au sud. D’abord ces bruits furent assez modérés. On se contentait de dire qu’il n’était pas bien sûr que la fortune de M. Merdle fût aussi vaste qu’on l’avait toujours cru ; que la liquidation pourrait bien offrir quelques retards ; qu’il pourrait même y avoir une suspension provisoire (mettons un mois ou six semaines) de la merveilleuse banque. À mesure que ces rumeurs se répétèrent un peu plus haut, elles devinrent aussi plus menaçantes. C’était un homme de rien, qui était parvenu tout à coup, par des moyens que personne n’avait jamais pu s’expliquer. Il avait des manières communes. Il n’avait reçu aucune espèce d’éducation. Il marchait toujours les yeux baissés et n’avait jamais pu regarder le monde en face. Comment se faisait-il qu’il eût ensorcelé tant de gens ? Il n’avait jamais eu de fortune à lui ; ses spéculations étaient effroyablement hasardeuses, et ses dépenses s’élevaient à un chiffre fabuleux. Grossissant à mesure que le jour baissait, la nouvelle prenait plus de consistance et de solidité. M. Merdle avait laissé dans le cabinet de l’établissement de bains où il s’était défait une lettre adressée à son médecin ; celui-ci l’avait prise pour la produire le lendemain à l’enquête du coroner. On pouvait s’attendre à un coup de foudre pour la multitude de gens que le banquier avait trompés. Une foule de personnes de tout rang et de toute profession allaient se trouver ruinées par la faillite Merdle ; des vieillards qui avaient vécu à l’aise depuis qu’ils étaient au monde, n’auraient pas d’autre asile que le workhouse pour aller se repentir de la confiance qu’ils avaient si mal placée. Des légions de femmes et d’enfants verraient renverser tout l’échafaudage de leur avenir par la main de ce misérable. Tous ceux qui avaient pris part à ses magnifiques dîners allaient bientôt reconnaître qu’ils n’avaient fait que l’aider à dépouiller d’innombrables familles. Tous les serviles adorateurs de la fortune, qui avaient contribué à lui élever un piédestal, auraient mieux fait d’adorer le diable en personne. La rumeur, une fois lancée, devint de plus en plus furieuse et bruyante, à mesure que chaque nouvelle édition des journaux du soir venait la confirmer. Enfin, elle gronda tellement à la tombée de la nuit, que je ne suis pas bien sûr qu’un veilleur solitaire, perché sur la galerie qui couronne le dôme de Saint-Paul, n’aurait pas pu voir l’atmosphère épaissie par les milliers de malédictions qui s’exhalaient contre le nom de Merdle.

À partir de ce moment, on sut que la maladie de feu M. Merdle était tout bonnement… l’escroquerie et le vol. Lui, l’ignoble objet des flatteries du grand monde et du public ; lui qui assistait aux festins des notabilités ; le lion des salons à la mode ; lui qui avait