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tais pas en train, j’ai laissé Mme Merdle partir seule au moment où nous allions monter en voiture, et j’ai mieux aimé faire un petit tour.

— Ne voulez-vous pas prendre une tasse de thé ou de café ?

— Non, merci, répéta le millionnaire ; je suis entré au club en passant, et je me suis fait donner une bouteille de vin. »

À cette période de sa visite, M. Merdle s’assit dans le fauteuil qu’Edmond Sparkler lui avait offert tout d’abord, et que jusqu’alors il avait continué à pousser devant lui comme un maladroit qui vient de chausser pour la première fois une paire de patins, et qui ne peut pas se décider à se lancer sur la glace. Il posa son chapeau sur une autre chaise qui se trouvait à côté de lui, et regardant le fond de la coiffe, comme si elle eût été au moins à une vingtaine de pieds de profondeur, il répéta :

« Vous voyez, j’ai voulu vous dire un petit bonsoir.

— C’est d’autant plus flatteur pour nous, remarqua Fanny, que vous n’êtes pas grand visiteur.

— N…on, répondit M. Merdle, qui pendant ce temps-là s’arrêtait prisonnier en se prenant par le poignet sous le parement de ses manches, non, je ne suis pas un grand visiteur.

— Vous êtes beaucoup trop occupé pour cela. Mais savez-vous que, pour un homme aussi criblé d’affaires, la perte de l’appétit est une chose sérieuse ? Il ne faut pas vous laisser tomber malade.

— Oh ! je me porte très-bien, répondit M. Merdle après y avoir réfléchi un peu. Je ne suis pas plus mal qu’à l’ordinaire. Je me porte assez bien. Je n’ai pas du tout besoin de mieux me porter. »

Le grand esprit du siècle, fidèle à sa réputation d’homme qui n’a que fort peu de chose à dire, et qui ne le dit pas sans peine, redevint muet. Mme Sparkler commençait à se demander si le grand esprit n’allait pas bientôt leur tirer sa révérence.

« Je parlais de pauvre papa au moment où vous êtes entré, monsieur.

— Vraiment ? Curieuse coïncidence, remarqua M. Merdle. »

Fanny ne voyait pas du tout la coïncidence, mais elle se crut obligée de soutenir la conversation.

« Oui, j’étais en train de dire à Edmond que la maladie de mon frère avait retardé l’examen et le règlement des affaires de papa.

— Oui, oui, il y a eu un retard.

— Ce n’est pas que cela tire à conséquence, ajouta Fanny.

— Non, répliqua le banquier après avoir examiné la corniche de la partie du plafond qui se trouvait en face de lui, ce n’est pas que cela tire à conséquence.

— Mon seul désir, continua Mme Sparkler, c’est que Mme Général ne reçoive rien.

— Elle ne recevra rien, » dit M. Merdle.

Fanny fut enchantée de lui entendre exprimer cette opinion. Le grand capitaliste, après avoir jeté un second coup d’œil dans les profondeurs de son chapeau, comme s’il croyait apercevoir quelque