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(du moins jusqu’au moment de la mort de notre pauvre père)… c’est qu’il a soldé les gages de Mme Général et l’a mise à la porte immédiatement. Je ne saurais trop l’en féliciter, et je suis prête à lui pardonner bien des choses en voyant l’empressement avec lequel il a fait ce que j’aurais eu tant de plaisir à faire moi-même ! »

Mme Sparkler se livrait à toute la joie de cette exécution triomphante, lorsqu’un double coup de marteau retentit à la porte ; un coup de marteau assez bizarre. On ne frappait pas fort, comme si on avait peur de faire du bruit et d’attirer l’attention. On frappait longtemps, comme si le visiteur préoccupé oubliait de s’arrêter à temps.

« Tiens ! s’écria Mme Sparkler. Qui donc ce peut-il être ? Serait-ce Amy et Édouard qui arriveraient sans nous prévenir et sans voiture ? Regarde par la fenêtre. »

Le salon était obscur, mais on n’en voyait que plus clair dans la rue, à cause des réverbères. La tête de M. Sparkler, qui passait par-dessus le balcon pour regarder en bas, semblait si lourde et si grosse, qu’un peu plus elle allait lui faire perdre l’équilibre, au risque d’écraser le visiteur inconnu.

« C’est un individu tout seul. Je ne le reconnais pas… Mais voyons un peu !… »

Cette réticence le ramena une seconde fois sur le balcon, où il se pencha de nouveau. Il rentra au moment où l’on ouvrait la porte et déclara qu’il croyait avoir reconnu le castor de son gouverneur. Il ne se trompait pas, car quelques instants après fut introduit le gouverneur, son bolivar à la main.

« Des bougies ! commanda Mme Sparkler, en demandant pardon de recevoir M. Merdle dans l’obscurité.

— Oh ! il fait assez clair pour moi, » répliqua le millionnaire.

Lorsqu’on apporta les bougies, on aperçut M. Merdle debout derrière la porte, se pinçant les lèvres.

« J’ai voulu vous dire un petit bonsoir en passant, ajouta-t-il. Je suis assez occupé pour le moment ; mais, comme je me trouvais dehors pour faire un tour, j’ai voulu vous dire un petit bonsoir. »

Le banquier se trouvait en grande tenue : Fanny lui demanda chez qui il était allé dîner.

« Oh ! moi, fit M. Merdle, je n’ai dîné chez personne, que je sache.

— Mais vous avez dîné au moins ? reprit Mme Sparkler.

— Mais non… je n’ai pas précisément dîné, répliqua l’illustre capitaliste. »

Il venait de passer sa main sur son front jaune, comme s’il réfléchissait pour savoir s’il était bien sûr d’avoir dîné. On offrit de lui faire servir quelque chose.

« Non, merci, répondit M. Merdle. Je n’ai pas d’appétit. Je devais dîner en ville avec Mme Merdle. Mais, comme je ne me sen-