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nombre d’années… Nous devons tous nous attendre à cela, et nous y soumettre bon gré mal gré… Moi-même il m’a bien fallu m’y résigner, car si je ne suis pas enfumée, je suis terriblement engraissée, ce qui est bien pis… quand je songe à l’époque où papa m’amenait ici… pas plus haute que ça, un vrai paquet d’engelures, qu’on posait sur une chaise les pieds sur le garde-cendres où je faisais de grands yeux à Arthur… pardon, à monsieur Clennam… qui n’était guère plus grand que moi, et qui portait des cols de chemise et des jaquettes monstres… Hélas ! l’ombre encore incertaine de M. Finching ne s’était pas alors montrée à l’horizon, me comblant d’attentions comme le fameux spectre de je ne sais plus quelle cour d’Allemagne, dont nom commence par un B… leçon morale qui nous apprend que tous les sentiers de la vie ressemblent aux chemins noirs qu’on voit près des mines, dans les comtés du Nord, d’où l’on tire du charbon et où l’on forge le fer, au milieu d’un tas de cendres qui craquent sous les pieds. » Après avoir accordé le tribut d’un soupir à l’instabilité de l’existence humaine, Flora poursuivit, en se rapprochant de son but :

« Non pas, madame Clennam, que vos plus cruels ennemis puissent vous accuser d’avoir égayé votre maison, car au contraire elle est toujours restée assez sérieuse pour produire la même impression sur ceux qui l’ont connue… Combien j’ai douce souvenance d’un jour… notre jugement n’était pas encore bien mûr alors… où Arthur… (voyez la force de l’habitude !)… où M. Clennam me fit descendre dans une cuisine abandonnée, et d’une humidité remarquable, me proposant de m’y enfermer pour le reste de mes jours, et de me nourrir des comestibles qu’il pourrait cacher dans ses poches pendant ses repas, ou de pain quand il serait en pénitence, ce qui, à cette heureuse époque de notre existence, ne lui arrivait que trop souvent, serait-ce prendre une trop grande liberté que de demander à réveiller le souvenir de ces jours trop tôt envolés en parcourant la maison ? »

Mme  Clennam, assez peu flattée au fond de l’obligeante visite de Mme  Finching, qui, sans se douter qu’elle se rencontrerait avec Arthur, était venue par pure complaisance et par bonté d’âme, répondit que Flora était parfaitement libre de visiter la maison de haut en bas. Flora se leva donc et pria Arthur de vouloir bien lui servir de cavalier.

« Certainement, dit Clennam, et Affery sera, j’en suis sûr, assez bonne pour nous éclairer. »

Mme  Jérémie s’excusa.

« Non, non, Arthur, ne me demandez rien, je vous en prie !

— Et pourquoi ? Qu’est-ce que tu as ? Pourquoi pas, ma vieille ? » interrompit M. Flintwinch.

Vaincue par cet argument, elle sortit à contre-cœur de son coin, déposa sa longue fourchette dans une des mains de son mari, tandis qu’elle acceptait le chandelier qu’il lui présentait de l’autre.