Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nemi beaucoup plus jeune et plus vigoureux que lui, avec le désir de s’en débarrasser et la conscience libre de tout scrupule, aurait pu, ma foi ! très-bien faire un mauvais coup dans cet endroit solitaire, à une heure avancée de la nuit.

Tandis que, grâce à la situation maladive de son esprit, ces pensées venaient se joindre à l’idée qui préoccupait sans cesse Clennam, son interlocuteur, le col tout de travers et un œil fermé, contemplait la maison d’en face par-dessus la porte cochère et fumait tout debout, de l’air le plus malicieux ; il semblait bien plutôt disposé à mordre à belles dents le tuyau de sa pipe qu’à en savourer le parfum. Et pourtant il le savourait… à sa façon.

« Vous pourrez aisément me reconnaître la prochaine fois que vous reviendrez, Arthur, ou je me trompe fort, » remarqua sèchement Jérémie, en se baissant pour faire tomber les cendres de sa pipe.

Arthur, un peu troublé (car il se sentait coupable), demanda pardon à M. Flintwinch de l’avoir ainsi dévisagé d’une façon impolie.

« Mais, voyez-vous, je suis si préoccupé de cette affaire, ajouta-t-il, que je ne sais plus ce que je fais.

— Ha ! Je ne vois pourtant pas, répondit M. Flintwinch, sans s’émouvoir, pourquoi cela vous préoccupe.

— Non ?

— Non, répliqua Jérémie d’un ton sec et décidé, à peu près comme s’il eût appartenu à la race canine et qu’il eût donné un coup de mâchoire pour mordre la main d’Arthur.

— Et ces affiches que l’on voit à chaque coin de rue ? Le nom et l’adresse de ma mère que l’on va promener partout associés avec un pareil mystère, croyez-vous que cela ne me fasse rien ?

— Je ne vois pas, répéta M. Flintwinch en caressant sa joue calleuse, que cela doive vous faire grand’chose. Mais je vais vous dire, Arthur, je vois autre chose, continua-t-il en levant les yeux vers les croisées de la malade, je vois briller une lampe dans la chambre de votre mère !

— Je ne comprends pas le rapport.

— Eh bien ! monsieur, le voici : cette lumière m’apprend que si le proverbe a raison qui conseille de ne pas réveiller le chat qui dort, il serait peut-être plus sage encore de ne pas courir après les chats qui se cachent, reprit M. Flintwinch, qui s’avança en tortillant vers Arthur, comme s’il voulait l’aplatir contre la porte. Laissez-les tranquilles. Ils finissent toujours par se montrer… plus tôt qu’on ne voudrait quelquefois. »

Jérémie tourna brusquement sur ses talons, après avoir fait cette remarque et entra dans le vestibule. Clennam se tint immobile, le suivant des yeux, tandis qu’il cherchait, dans le petit cabinet voisin, un briquet phosphorique où il parvint, après trois tentatives infructueuses, à faire flamber une allumette qu’il approcha de la lampe blafarde, destinée à éclairer l’antichambre. Pendant ces opérations,