Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

— C’est toujours la même histoire, répliqua Mlle  Fanny : il ne vaut pas mieux que le reste. D’abord, il a commencé par faire connaissance avec nous, bon gré mal gré. Nous n’avions pas besoin de lui. Je lui ai toujours montré, pour ma part, que je me serais très-volontiers passée de sa société. Puis il nous a fait cette grossière insulte dont il ne se serait jamais avisé, s’il n’avait pas été enchanté de nous tourner en ridicule ; et, enfin, il faut que nous nous abaissions jusqu’à rendre service à ses amis ! Je ne m’étonne pas du tout, après cela, de la conduite que ce M. Gowan a tenue envers toi, Édouard. Devions-nous nous attendre à autre chose de la part d’un homme qui se réjouissait au souvenir de nos malheurs passés… qui s’y délectait…

— Père… Édouard… il n’en est rien ! dit la petite Dorrit pour s’excuser. M. et Mme  Gowan ne connaissent seulement pas notre nom. Ils n’ont jamais su, ils ne savent pas encore notre histoire.

— Tant pis ! riposta Fanny, bien décidée à n’admettre aucune circonstance atténuante ; car alors tu n’avais aucun prétexte pour te conduire comme tu l’as fait. S’ils avaient su à quoi s’en tenir, tu aurais pu te croire appelée à nous concilier leurs bonnes grâces. C’eût été là une faiblesse et une erreur ridicules ; mais je sais respecter une erreur, tandis que je ne puis respecter un abaissement gratuit de ceux que nous devrions chérir. Non, je ne puis respecter une pareille conduite. Je ne puis que la dénoncer au blâme de la famille.

— Je ne te chagrine pourtant jamais volontairement, Fanny, répliqua la petite Dorrit, et cela ne t’empêche pas d’être bien dure avec moi.

— Alors tu devrais faire plus d’attention, Amy, répondit la sœur. Si tu commets ces erreurs par hasard, tu devrais faire plus d’attention. Si j’avais eu le malheur de naître dans un certain endroit et dans certaines circonstances de nature à émousser en moi le sentiment des convenances, je m’imagine que je me croirais obligée davantage de me demander à chaque pas : « Vais-je sans le savoir, compromettre des parents qui me sont chers ? » Je m’imagine que c’est là ce que je ferais, moi, dans ce cas-là. »

M. Dorrit intervint alors, pour mettre un terme à cette discussion pénible, au nom de son autorité, et pour en enseigner la morale au nom de sa sagesse.

« Ma chère, dit-il à la plus jeune de ses filles, je vous prie de… hem !… de laisser là ce sujet. Votre sœur Fanny s’exprime peut-être avec un peu trop d’énergie, mais au fond elle n’a que trop raison. Vous occupez maintenant… hem !… une haute position. Cette position vous ne l’occupez pas seule, mais conjointement avec… hem !… avec moi, et… ha ! hem !… avec nous. Nous. Or, tous ceux qui occupent une position élevée (surtout notre famille, et cela pour des motifs sur lesquels je… hem !… je n’appuierai pas en ce moment), sont tenus de se faire respecter. Si l’on veut être respecté par ses inférieurs, il faut… hem… les