sais où aller. Mais, courage ! Cela suffit ! Peu importe ! J’y vais à l’instant même !
— Pas un mot de tout ceci à personne qu’à moi.
— Altro ! » s’écria Cavalletto, tandis qu’il s’éloignait en courant.
CHAPITRE XXIII.
Mme Jérémie fait une promesse conditionnelle au sujet de ses rêves.
Resté seul, songeant avec une vive préoccupation aux regards et aux gestes expressifs de M. Baptiste, autrement dit Giovanni Baptista Cavalletto, l’associé de Daniel Doyce commença une triste journée. Ce fut en vain qu’il essaya de donner le change à ses pensées en s’occupant des affaires de la maison ; son attention, toujours fixée sur le même sujet, ne laissait de prise à aucune autre idée. Tel un criminel qu’on aurait enchaîné dans un canot amarré au milieu d’une rivière limpide, serait condamné, en dépit des lieues innombrables de flots qui passeraient sous ses yeux, à voir au fond du fleuve le cadavre du compagnon qu’il aurait noyé, toujours immuable, toujours le même, sauf les moments où le remous l’élargit ou l’allonge, tantôt dilatant et tantôt rétrécissant cette terrible image, tel Arthur apercevait, sous le courant des pensées transparentes qui se succédaient sans transition dans son esprit, une image sombre et fixe que nul effort d’imagination ne parvenait à déplacer, et à laquelle il ne pouvait se soustraire.
La conviction, récemment acquise, que Blandois, quel que fût son vrai nom, était un misérable, ne contribua que trop à augmenter son inquiétude. Lors même que l’on parviendrait à expliquer sa disparition, cela n’empêcherait pas sa mère de s’être trouvée en rapport avec cet homme. Arthur espérait bien que personne, excepté lui, ne connaissait la nature mystérieuse de ces relations, ni la soumission, la crainte même que l’étranger avait inspirées à Mme Clennam ; mais pouvait-il séparer la scène dont il avait été témoin de ses appréhensions premières, et croire qu’il n’y avait rien de criminel dans de pareilles relations ?
La résolution qu’elle avait exprimée de ne fournir aucun renseignement à cet égard, et la connaissance qu’il avait du caractère indomptable de sa mère, augmentaient en lui le sentiment de son impuissance. C’était comme un cauchemar qui lui montrait la honte et le déshonneur planant sur la mémoire de ses parents, avec un mur d’airain qui l’empêchait de leur venir en aide. Le but qui l’avait ramené dans sa patrie et qu’il n’avait jamais perdu de vue,