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— Et pourtant, comme je vous le répète souvent, vous avez tort de déprécier vos talents d’administrateur.

— Peut-être bien, répondit Doyce en riant, mais aussi peut-être que non. J’ai une autre vocation que j’ai mieux cultivée que celle-là et pour laquelle je me crois plus d’aptitude. J’ai pleine et entière confiance en mon associé, et je suis convaincu que tout ce qu’il fait est pour le mieux. Je n’ai de préjugé, en ce qui concerne l’argent et les chiffres, que sur un point, continua Doyce posant sur le collet d’Arthur son pouce plastique, c’est contre la spéculation. Je ne m’en connais pas d’autre. Et encore peut-être que ce préjugé provient de ce que je n’ai jamais mûrement réfléchi là-dessus.

— Mais il ne faut pas appeler cela un préjugé, mon cher Doyce, c’est au contraire une grande preuve de bon sens.

— Je suis enchanté que ce soit votre opinion, répliqua Daniel avec son œil gris plein de douceur et de bonhomie.

— Une demi-heure avant que vous fussiez descendu je faisais justement la même remarque à Pancks, qui est monté me dire bonjour en passant. Nous sommes convenus que la manie des placements aléatoires est la plus dangereuse, comme aussi la plus commune de ces folies qui souvent mériteraient plutôt le nom de vices.

— Pancks ? dit Doyce soulevant son chapeau par derrière et faisant un signe de tête qui dénotait une grande confiance dans le remorqueur de M. Casby. Oui, oui ! c’est un homme prudent que Pancks.

— Un homme très-prudent, un modèle de prudence. »

La prudence de M. Pancks parut causer aux deux associés une satisfaction dont leur conversation n’expliquait pas très-clairement les motifs.

« Et maintenant, mon digne associé, ajouta Daniel après avoir consulté sa montre, puisque le vent et la marée n’attendent personne, et que je suis prêt à me mettre en route avec armes et bagages, un dernier mot. J’ai une prière à vous adresser.

— Tout ce que vous pourrez me demander… pourvu (Clennam se dépêcha de formuler son exception, que lui avait suggérée tout de suite la physionomie de son associé) qu’il ne s’agisse pas d’abandonner votre invention.

— C’est justement ce que j’allais vous prier de faire, et vous le savez fort bien.

— Dans ce cas, je vous dirai Non, mille fois Non. À présent que j’ai commencé, il faut que j’obtienne de ces gens-là une raison nette et claire, un rapport officiel, quelque chose, enfin, qui ressemble à une réponse catégorique.

— Vous n’obtiendrez jamais cela, répliqua Doyce secouant la tête. Croyez-en mon expérience. Jamais !

— J’aurai toujours essayé. Cela ne peut pas faire de mal.

— Je ne sais pas trop, répondit Doyce, posant la main sur l’épaule de son associé d’une façon persuasive. Cela m’a fait du mal,