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Clennam intervint à cet endroit, pour dire qu’il était convaincu qu’ils la recevraient comme par le passé, si jamais elle désirait retourner chez eux.

« Jamais, s’écria-t-elle d’une voix irritée. Je ne ferai jamais cela ! Personne ne le sait mieux que Mlle Wade, malgré les reproches qu’elle m’adresse, parce qu’elle me voit sous sa dépendance. Je ne le sens que trop, que je suis sous sa dépendance et qu’elle est enchantée d’avoir quelque occasion de me le rappeler.

— Voyez le beau prétexte ! dit Mlle Wade avec non moins de colère, d’un ton de hauteur et d’amertume. Cherchez-en un autre, celui-là est trop usé pour que je ne voie pas à travers. C’est ma pauvreté qui vous fait regretter leur richesse. Retournez chez eux, retournez chez eux, et que cela finisse. »

Arthur Clennam contemplait ces deux femmes debout à quelques pas l’une de l’autre, dans cette triste chambre, entretenant toutes deux le feu de leur colère, décidées à torturer leur propre cœur et à se torturer l’une l’autre. Il ajouta quelques paroles pour prendre congé ; mais Mlle Wade se contenta d’incliner la tête, tandis qu’Henriette, affectant l’humilité d’une servante ou d’une esclave (humilité orgueilleuse, ou il entrait plus de révolte que de résignation), parut croire qu’elle était trop peu de chose pour qu’on fît attention à elle, ou pour qu’il lui fût permis de faire attention aux autres.

Il descendit le sombre escalier tournant et regagna la cour, où l’aspect du mur tapissé de plantes mortes, de la fontaine desséchée, du piédestal sans statue, produisit sur lui une impression encore plus lugubre. Réfléchissant à ce qu’il venait de voir et d’entendre dans cette maison, à l’inutilité de ses efforts pour découvrir l’étranger suspect qui avait disparu, il retourna à Londres par le paquebot qui l’avait amené. Durant le trajet, il déplia le manuscrit de Mlle Wade, et lut ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.




CHAPITRE XXI.

Histoire d’un bourreau de soi-même.


J’ai le malheur de ne pas être une sotte. Dès mon jeune âge, j’ai découvert autour de moi une foule de choses que l’on croyait me cacher. Si, au lieu de tout voir, j’avais pu me laisser tromper, peut-être aurais-je mené une existence aussi calme que celle de la plupart des imbéciles de ce monde.

Mon enfance se passa chez ma grand’mère, ou du moins chez une dame qui jouait auprès de moi le rôle de grand’mère et qui en prenait le titre. Elle n’y avait aucun droit, mais moi… j’étais encore