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CHAPITRE III.

La route.


Le lendemain matin un soleil resplendissant éblouissait tous les yeux ; il ne neigeait plus, le brouillard s’était dissipé ; l’air de la montagne était si pur et si léger, qu’en le respirant, il semblait qu’on entrât dans une vie nouvelle. Pour augmenter l’illusion, la terre elle-même avait comme disparu, car la montagne, désert brillant où s’élevaient d’immenses masses blanches, ressemblait à une région de nuages flottant entre le ciel d’azur et la terre lointaine.

Quelques points noirs qui, se détachant sur la neige comme des nœuds sur un petit fil, commençaient à la porte du couvent et descendaient le penchant de la montagne en zigzags rompus qu’on n’avait pas encore reliés entre eux, indiquaient les divers endroits où les frères étaient en train de tracer des sentiers. Déjà la neige avait commencé à se fondre autour de la porte sous les pieds des passants. On s’empressait de faire sortir les mules de l’écurie, afin de les attacher aux anneaux scellés au mur pour les charger ; on bouclait les harnais ornés de clochettes ; on ajustait les bâts ; les voix des guides et des cavaliers résonnaient comme une mélodie. Quelques-uns des voyageurs les plus matinaux étaient déjà en route sur le plateau uni, non loin du lac sombre qu’on aperçoit près du couvent ; et, le long du versant que nos touristes avaient escaladé la veille, on voyait descendre des petites figures d’hommes et de bêtes, dont l’immensité du paysage faisait des miniatures, et qui s’éloignaient au milieu d’un concert de clochettes retentissantes et de voix harmonieuses.

Dans le réfectoire des voyageurs, un nouveau feu, empilé sur les cendres blanches du feu de la veille, jetait l’éclat de ses flammes sur un simple déjeuner de pain, de beurre et de lait. Il brillait aussi sur le courrier de la famille Dorrit, qui faisait le thé de ses maîtres en mettant à contribution les provisions qu’il avait apportées, destinées surtout à augmenter le bien-être de la nombreuse et incommode suite de William Dorrit, esquire. M. Henry Gowan et Blandois, de Paris, avaient déjà déjeuné, et se promenaient au bord du lac, fumant leur cigare.

« Gowan ? Ah ! il s’appelle Gowan, murmura Tip, autrement dit Édouard Dorrit, esquire, tournant les feuillets du livre des voyageurs, lorsque le courrier les eut laissés à leur déjeuner. Alors Gowan est le nom d’un paltoquet… voilà tout ce que j’ai à dire sur son compte ! S’il en valait la peine, je lui tirerais les oreilles ;